Ça y’est. Le formidable Slovène a remporté son pari : s’arroger la triple couronne que forment le Giro, le Tour et les Championnats du monde lorsque gagnés dans une même saison. Si tout le monde parle de cette dernière victoire comme du récit d’une domination physique totale, on omet plusieurs facteurs stratégiques importants qui ont permis à Pogi d’enfiler le maillot arc-en-ciel.
En voici quelques-uns.
Risquer de perdre pour gagner
Quand Pogačar s’envole à 100km de l’arrivée pour rejoindre l’échappée partie 25km plus tôt, il prend un risque important.
Les Belges de Remco Evenepoel constituent une force majeure (en nombre) qui pourrait, à elle seule, mettre en échec sa tentative en le ramenant.
Les autres favoris auraient pu choisir de le marquer au moment de son attaque. L’échappée aurait pu s’essouffler plus rapidement et lui faire perdre son avance, le forçant à partir seul encore plus tôt.
Dans un scénario où le groupe de favoris se rend ensemble à la ligne, pas certain que Pogačar l’aurait emporté. La bosse n’est pas assez longue pour démolir ceux qui ne sont pas de purs grimpeurs (la preuve : c’est Mathieu van der Poel -très affûté, j’en conviens- qui remporte la troisième place dans un sprint de groupe).
Il n’est même pas si fantaisiste d’imaginer qu’un coureur ne faisant pas partie du gotha cycliste puisse profiter de la bisbille parmi les têtes couronnées (voir plus bas) pour se faufiler vers une victoire inattendue.
Placer ses pions
Quand Pogačar rejoint le groupe de tête, son coéquipier Jan Tratnik l’y attend et prend les choses en main. Il est en bonne partie responsable du maintien de l’écart avec les autres favoris qui besognent derrière pour revenir.
En plaçant préalablement ce brillant équipier à l’avant, sachant à quel point Tratnik est capable de se transformer en impitoyable tracteur lorsqu’on le lui réclame (genre, tous les jours ou presque de sa carrière), l’équipe slovène savait ce qu’elle faisait.
Pendant que Tratnik tirait comme un dératé, Pogačar « se reposait » dans les roues en attendant la prochaine bosse pour mieux s’y envoler.
Tactique 101, comme truc, mais quand ça fonctionne, ce n’est pas moins efficace parce que c’est banal. (Et encore faut-il réussir à placer le bon coéquipier dans la bonne échappée lors d’une course donnée… C’est pas mal moins évident que ça en a l’air.)
Perdre du temps était voulu
Certains commentateurs croyaient à un coup de fatigue quand le Champion du monde s’est mis à saigner des secondes sur le plat.
C’était sans compter sur l’intelligence tactique de Pogi et son entourage. Il faisait la course aussi avec sa tête, se reposant sur un terrain moins propice à creuser ou maintenir l’écrat pour ensuite reprendre du temps sur ses rivaux sur le terrain le plus favorable : en montée.
Se trouver des alliés de circonstance
Quand Pogačar attend Pavel Sivakov après son attaque décisive, il prend encore une décision intelligente. Oui, il y sacrifie de précieuses secondes. Mais il sait que les prochains kilomètres seront difficiles et qu’avec un allié pour prendre un peu de répit, il pourra maintenir sa cadence d’enfer plus longtemps.
Sivakov, lui, tente sa chance, croyant à la possibilité de suivre le Slovène jusqu’à la ligne et d’ainsi accrocher une médaille à son cou.
Sauf que… Quand il a filé seul, quelques kilomètres plus loin « Pogačar m’a juste déposé », a raconté Sivakov.
On avait remarqué, oui.
Laisser les autres « s’annuler » entre eux
En partant seul, comme je l’expliquais plus haut, Pogačar a évité de se retrouver dans la situation où se trouvaient ses principaux rivaux : pour la plupart esseulés, condamnés à s’attaquer les uns et les autres de manière plus ou moins organisée.
On a vu Remco se fâcher quand les Américains, entre autres, ont refusé de travailler avec lui, s’agglutinant dans son sillage. Rien de plus normal : allez-vous aider l’un des plus forts du lot à s’approcher de la victoire pour qu’il puisse vous fausser compagnie au moment opportun? Eh non.
Après chaque attaque, aussitôt marquée, on voyait le groupe ralentir considérablement. Ces cassures dans le rythme ont permis au nouveau champion de caracoler vers Zurich en solitaire en maintenant son rythme (son « pace ») plutôt que de subir celui des autres.
C’est un exploit physique, certes. Mais tout le reste -y compris une nutrition irréprochable- était aussi primordial afin d’enfiler la tunique sacrée.