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Le blogue de David Desjardins

Par procuration

28-08-2018
Cycle route

C’est comme si c’était moi qui faisais la course.

Je dois aller deux fois aux toilettes, je perds mon cell (rangé dans un soulier de vélo pour ne pas… le chercher, ce que j’ai visiblement oublié), je me sens décalé, dans cet état second qu’induit la nervosité d’avant une compétition. J’ai participé si souvent à ce type d’événement que c’est comme si mon cerveau, au son de la voix de l’animateur et à la vue de toutes ces voitures surmontées de vélos, avait enregistré que je prenais le départ au Raid du Bras-du-Nord.

Sauf que c’est pas le cas. J’accompagne seulement ma blonde. C’est son premier raid. Elle est sur le gros nerf depuis 2 jours, mais ce matin, c’est moi qui suis le plus fébrile de nous deux.

Et en même temps, pour une fois, j’ai le plaisir d’observer la scène avec du recul. Je ne serai pas sur la ligne de départ, je n’ai pas à aller m’inscrire, chercher un numéro, une plaque, ou à suivre un protocole de réchauffement. Je jase avec le monde, et j’en connais des tonnes, ici, dans le stationnement au bas des pentes du Mont Laura.

Il y a Mario, qui vient de recevoir un diagnostic de santé positif après des mois à se battre contre la maladie. Il y a Dominique qui se lance avec une certaine appréhension dans le plus long des parcours. Il y a Craig que je n’ai pas vu depuis 1000 ans et qui semble un peu inquiet de s’élancer avec un certain manque d’entraînement. Il y a Mathieu qui s’en vient gagner.

La variété des cyclistes m’impressionne. De presque tous les âges et calibres, juchés sur des montures de tous genres et coûts, certaines toutes neuves et d’autres antédiluviennes (salutations au type stationné à côté de nous qui roule sur un Balfa Bel Air identique à celui que j’ai autrefois possédé et dont nous avons longuement parlé). Il y a des filles en skinsuit, d’autres en shorts. Il y a des gars qui portent des jerseys d’équipes qui ressemblent à des pizzas publicitaires et d’autres tout en noir. Il y a des hardtails, des machines de vitesse de cross country, des vélos de trail et de gros machins qui pourraient presque passer pour des engins d’enduro. Il y a du monde en « flat pedals ».

Mais surtout, règne quelque chose comme un superbe esprit de convivialité. Il se prolonge jusque dans les sentiers, me confirmera plus tard ma fiancée, ravie de s’être faite des amis de circonstance tout au long de l’épreuve, ce qui rend le défi non seulement plus digeste, mais lui confère une aura de fête foraine où, sous le chapiteau mouvant de la course, tout le monde devient copain.

Après le départ, j’ai pris mon vélo de route pour rentrer à la maison et profiter d’une autre journée superbe en cet été presque parfait. J’étais habité par les sourires, les conversations, le plaisir des mines ravies à chacun des départs, y compris chez celles et ceux qui étaient là pour gagner. Je n’ai pas fait de raid depuis des lustres. L’an prochain, c’est sûr, j’en fais un.

Parmi les visages connus que j’ai croisés sur place, il y avait celui de François. Je ne l’ai pas reconnu sur le champ avec le casque et le costume cycliste. Nous nous sommes vus dans d’autres circonstances de la vie, en lien avec mon travail de scribe, et son boulot de prof.

À ce moment, de toute manière, je crois qu’il ne pédalait plus tellement. Il s’est d’ailleurs reconnu dans mon récent texte, Zone Zéro.

« Salut, David,
Je viens tout juste de prendre des nouvelles de toi : j’ai lu ton dernier texte dans Vélomag. Comme toujours, ta réflexion confronte mon rapport à ce sport, lequel est aussi le mien.
Vers la fin de ton texte, tu évoques, entre autres, les « enragés de [ta] sorte qui ont fini par être dégoûtés du vélo à force d’en manger ». Je me suis malheureusement reconnu, là. Pendant des années, ma vie se résumait à ce que dictait mon plan d’entraînement, et ce, jusqu’au moment d’atteindre mon objectif : faire un Ironman. Puis, plus rien. Trop dégoûté de tous les sacrifices et de la tyrannie des chiffres. Il y a bien eu quelques courses de montagne et des marathons, mais la passion pour le vélo n’était plus là au tournant du XXIe siècle.
Or, l’année passée, je décide de m’inscrire au raid BDN. Surprise : je suis encore capable, et ce, sans grande préparation. En fait, je roule maintenant pour le plaisir avec ma blonde, mes enfants et mes amiES sans regarder les chiffres, sans suivre de plan. Tu sais quoi? Je suis probablement plus fort et plus passionné qu’avant. Je fais des régionales, des provinciales et des raids, et je dois dire que le plaisir est plus fort que jamais. Et les résultats sont bons, oui. »

Bon, tu dis? François a terminé le premier du 31km, dimanche. Je lui ai répondu, pour le féliciter et le remercier pour son message (tout en lui demandant si je pouvais le publier).

Sa réponse :
« C’est toujours agréable de gagner une course, surtout après une « décevante » 33e place au 60km du MSA – je visais le top 10. De toute évidence certains chiffres ont encore une petite place dans ma vie! »

Tout ça pour dire, finalement, que notre rapport à la performance n’est jamais simple.

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