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Le blogue de David Desjardins

Pourquoi nous roulons (2)

29-09-2016

L’air du dehors s’est soudainement refroidi. L’automne est arrivé comme un voisin encombrant: sans s’annoncer.

J’ai sorti les vélos de cyclocross et de montagne. Les vêtements chauds. Il reste de belles sorties sur route à faire, mais là encore, le rythme des jours a changé. Je ne roule plus tous les jours. J’ai troqué des de vélo pour du yoga, de la course à pied. Je travaille un peu plus aussi. Je m’éloigne un peu pour mieux revenir à mon sport, à la compétition.

Il était temps. La fatigue s’installait. Et pas seulement dans le corps.

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Dans une vie antérieure, j’ai été critique de musique.

Cela signifiait que j’étais payé pour recevoir des disques (pour les plus jeunes parmi nous, rappelons qu’il fut un temps où la musique coûtait quelque chose. C’est fou, hein ?). Payé pour aller voir des spectacles. Payé pour rencontrer des artistes, leur poser des questions. Payé pour écrire sur tout cela.

« T’es ben chanceux », me disait à peu près tout le monde. Et moi, au bout d’un an de ce régime musical, je haussais les épaules en guise de réponse.

L’allégorie du gâteau à chocolat suffisait généralement à faire comprendre à mon interlocuteur que malgré son amour du dessert, si je lui servais de grosses parts de gâteau chaque jour, plusieurs fois par jour, l’empêchant d’aller se coucher pour qu’il en mange une autre part, après avoir ingurgité deux autres petits desserts (les spectacles dans les bars, un mardi, avec deux premières parties), puis qu’il serait réveillé au petit matin pour écrire sur ce gâteau, il était possible qu’au bout d’un temps, son enthousiasme s’émousse un peu.

Comprenez bien : j’étais un fanatique de musique. C’était mon boulot de rêve. Exactement comme j’ai un plaisir indescriptible à rouler, à faire de la course, et même à m’entraîner. Ma crainte, c’est pourtant que le vélo vire au gâteau au chocolat.

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Voilà un bien long préambule pour dire que je ne croyais pas être ému en regardant Theabouts (en visionnement complet au bas de cette page). J’imaginais que ce film des frères Morton relatant leur désamour avec le vélo et leur retour aux sources serait même un peu banal. J’avais lu l’histoire, je connaissais les grandes lignes du récit.

Lachlan Morton, jeune prodige chez les pros. Gus Morton, à qui on promettait dès 13 ans qu’il pourrait faire le Tour de France. Deux jeunes Australiens du vélo, qui en mangeaient, mais qui ont fini par être dégoûté de leur sport.

Gus Morton est parti travailler en télé. Quelques années plus tard, son cadet Lachlan lâchait le circuit professionnel et un début de carrière pro chez Garmin. Incapable de renouer avec le désir qui l’avait poussé jusque là.

Dans Theabouts, on les retrouve dans le désert australien, partis à la conquête de leur amour de la route. Et ce qui se passe là est extrêmement touchant.

Parce qu’on assiste un peu aux retrouvailles de deux frères, mais aussi aux témoignages de deux personnes qui avaient perdu leur voie et la retrouvent. Au milieu de nulle part. Cela, en même temps qu’ils font la connaissance d’autres personnages partis à la recherche d’eux-mêmes dans ces contrées bien peu hospitalières.

Les frères Morton renouent avec l’essence même de ce qui nous pousse à nous dépasser : cette sorte d’état second, méditatif, où l’effort, le mouvement et le paysage se fondent pour devenir un état d’esprit qui nous élève au dessus des contingences de la vie normale. Ça, et le plaisir d’être avec les autres, de se dépasser sans autre objectif que d’aller au bout de soi.

C’est ce que je crains d’oublier, parfois, à force de sorties obligées, d’entraînements répétitifs. L’automne, les autres sports, le recul : tout cela sert à nous rappeler pourquoi nous roulons. Le film des frères Morton aussi. Et ça tombe bien, ils viennent d’en sortir un second. Je saurai quoi écouter pour mon prochain entraînement au sous-sol, à la poursuite de futures victoires. Et de sens.

L'an dernier, Lachlan Morton est revenu à la compétition. Avec son frère. Au sein de l'équipe continentale Jelly Belly, Lachlan a remporté le Tour d'Utah et le Tour de Gila. Visiblement, le désir est revenu.
 

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