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Le blogue de David Desjardins

Rouler, c’est politique

15-04-2019
blog david desjardins

Je m’imagine un peu comment font les aveugles pour s’orienter avec le bruit ambiant car je connais exactement le son que fait une voiture qui vient derrière moi et s’apprête à me frôler. Je l’entends dans l’espace. Je sens sa position. Derrière moi, et trop près. Parfois elle se tasse au dernier moment. Mais que ce soit le cas ou pas, et qu’elle me frôle finalement ou non, la seconde que dure cette réalisation s’écoule dans la plus pure terreur.

Je me crispe. Mes sphincters se serrent (c’est même pas une blague), les muscles de mes cuisses sont pris d’un spasme et mes mains serrent le guidon comme si de m’y agripper allait changer quoi que ce soit. À moins que, symboliquement, ce soit à ma vie que je m’accroche ainsi. Chose certaine, je ne me retourne jamais. Comme il ne faut jamais laisser le regard dévier, pendant une course, lorsque survient une chute dans le peloton. On risque alors de faire une connerie parce qu’on ne regarde plus la roue devant la sienne, ni les autres autour, risquant de tomber à son tour en emportant d’autres malheureux au sol. Les anglos appellent ça le sympathy crash.

Mais revenons au sujet qui nous occupe.

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Le climat sur la route

C’est le printemps et je renoue avec le stress de la route. Il ne m’empêche pas de rouler. Mais j’ai hâte de retrouver quelques-unes des pistes cyclables qui me font éviter la proximité des automobilistes. Au moins par moments.

La majorité d’entre-eux est pourtant exemplaire. Sans blague, le climat sur la route s’est considérablement amélioré, et la plupart des gens, que cela leur plaise ou pas, laissent suffisamment d’espace pour que nous puissions respirer. Mais il suffit d’un ou d’une inconscient.e, étourdi.e ou distrait.e pour me foutre la frousse et me gâcher les minutes qui suivent. Parce que je sais que ces mêmes conducteurs, dans leur étourderie, pourraient faire autrement que de me faire peur. Ils pourraient me tuer.

Chaque fois qu’on me frôle, je passe les minutes suivantes à imaginer le choc. La chute. Les os qui se rompent et la peau en lambeaux. Puis ça me passe.

Les automobilistes qui ne roulent jamais à vélo sur les routes ignorent ce sentiment de vulnérabilité. Ils ne devinent pas comme on se sent petit lorsqu’ils décident de nous doubler parce que nous les ralentissons, ou qu’ils se faufilent imprudemment pour sauver quelques secondes d’un quotidien ou chaque seconde est si précieuse qu’une poignée d’entre elles se transigent apparemment au prix exorbitant d’une vie humaine.

Je pense que c’est ce qu’il faut rappeler. Je ne veux pas d’affrontement. Je veux générer de l’empathie. Je veux que les personnes au volant de leur voiture se mettent à ma place deux minutes et qu’elles s’imaginent être frôlées par des bestiaux de fer qui roulent à tombeau ouvert. Mon tombeau.

Mais on ne m’aura pas. Je ne cèderai pas. Je vais rouler encore, prendre ma place dans le trafic. M’en éloigner, lorsque c’est plus sage, mais y retourner lorsque c’est plus pratique et que j’en ai envie. Parce que ce lieu qu’on appelle la route, le chemin, la rue, est à tout le monde. Parce que je paye des impôts et des taxes moi aussi. Parce que je ne plierai pas devant la petite violence ou même la bêtise de celle ou celui qui texte, qui boit, qui se dope et qui conduit. Ni devant la colère des endoctrinés radiophoniques et autres « victimes » de l’abrutissement volontaire.

J’occupe un territoire qui m’appartient, bien que les forces de l’inertie sociale tentent de convaincre tout le monde du contraire. Rouler, c’est un sport. C’est parfois aussi politique. Du moins, ce le sera tant et aussi longtemps que j’aurai peur sur la route.

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