« Pourquoi tu roules en pleine rue? Pourquoi t’es pas dans la piste cyclable? »
Je pédale quelques centaines de kilomètres chaque semaine, et à chacune de ces semaines, au moins un automobiliste (et souvent deux ou trois) me hurle cette même question.
Ça vaut la peine d’y répondre en prenant mon temps. Parce que sur la route, vu le ton emprunté par mes sympathiques interlocuteurs, je suis généralement moins poli.
(Oui, je sais que j’ai dit l’an dernier que j’étais rendu zen, mais c’est comme le jeûne intermittent pis le yoga : j’ai de la misère à être constant.)
Une ligne au sol n’est pas une piste
J’ai rencontré un élu municipal de Québec récemment. Un truc d’affaires.
Le vélo n’avait rien à voir avec notre discussion, donc, mais il l’a terminée en me demandant ce que je pense des aménagements cyclables à Québec. Réponse : je les évite le plus souvent.
J’ai dit la même chose à Isabelle Craig qui occupe le micro de Pénélope à La Première Chaîne, récemment.
Les deux ont eu l’air surpris.
Après tout, la ville de Québec a tracé des centaines de kilomètres de pistes cyclables un peu partout sur le territoire dans les dernières années. Dans la logique automobiliste, c’est une superbe opportunité pour éviter d’être dans le trafic.
Dans la réalité de celles et ceux qui roulent, ces pistes sont, règle générale, plus dangereuses que la route.
Parce que ces pistes n’en sont pas. Ce sont des lignes au sol. Des trottoirs élargis. Des endroits où, le plus souvent, les automobilistes ne regardent même pas et s’engagent pour vous couper la route.
Un parcours en exemple
Tenez, supposons que je vais à Neuville. Je pars de Limoilou, après avoir franchi le viaduc de la mort sur Canardière (sous la voie ferrée, l’asphalte défoncée, sans grande visibilité pour les voitures qui arrivent très vite), je remonte sur la 8e Avenue. Y’a une piste. Avec des coureurs qui font dos aux vélos, des taxis qui débarquent du monde et 8 rues transversales où les arrêts pour les automobilistes sont, apparemment, facultatifs.
Pour sortir de la ville vers l’Ouest, je prends St-Vallier. À l’Est, y’a une piste peinturée sur le sol, c’est plein de coureurs, de marcheurs et d’autos qui menacent d’ouvrir leur portière.
Plus loin, dans le Parc St-Malo, la ligne a été repeinte trois fois, elle apparait et disparait. Pour accéder à piste de Frank Carrel, tu dois, au Nord, traverser l’entrée de chez Savard, celle du Bureau en Gros et celle du Tim. De chacune, les autos déboulent jusque DANS la piste, sans regarder. Tout le temps. Parce qu’il s’agit d’une de ces pistes en format trottoir élargi : les autos s’avancent jusqu’à la chaussée où leur regard est rivé pour voir les voitures arriver et sortir de là au plus vite. Jamais il n’imaginent qu’il va arriver un vélo ou piéton, ils n’y pensent même pas. C’est une piste conçue pour se faire oublier.
Et en sens inverse, il y a les autos te coupent pas pour entrer dans le stationnement en se fichant de te voir arriver vers eux.
Sur Frank Carrel, ça va. C’est assez bien protégé par des bollards. Si ce n’est que le détour pour aller rejoindre le Versant-Nord qui est long, un peu dangereux et parfaitement ridicule en matière de zigonnage.
Sur Versant-Nord, rien à redire. Belle piste protégée, séparée de la chaussée par une bande de gazon. Après, on est pas mal dans la rue jusqu’à Neuville, pas le choix. Jusqu’au retour. Cap-Rouge, Jean-Gauvin. La piste traverse 3 ou 4 rues et deux douzaines d’entrées de maison. Suuuuuuper. Sans parler des trous, des chaînes de trottoirs mal conçues où tu pètes tes roues et de la crainte de voir quelqu’un te reculer dessus en sortait de chez eux. Parce que oui, ça arrive. Tout le temps.
Si tu décides de passer par Hamel, bonne chance. Sur Duplessis, la piste croise des entrées de commerces, de cinéma, etc. Sur Jules-Verne, derrière, c’est pire encore et elle a beau être neuve, c’est un super endroit pour démolir tes roues.
Revenu par Versant Nord j’aboutis sur la 3e avenue. Une bande cyclable si étroite qu’il est impossible de stationner une auto de taille moyenne sans empiéter sur la piste. Là encore, c’est le festival de l’emportiérage.
Ça, c’est la vie cycliste au quotidien. Des pistes mal faites, mal pensées, dangereuses, et pourtant, on nous somme de nous y tenir pour ne pas nuire au trafic automobile.
Rouler dans la rue pour survivre
Sur la route, je ralentis peut-être le trafic par moments (quoique, la plupart du temps, je vais entre 30 et 40 dans des zones de 30, 40 ou 50, c’est pas si pire). Mais au moins, je suis vu.
Faque, pourquoi je ne suis pas sur la piste cyclable dès que je peux l’éviter?
Parce que j’ai le choix entre exaspérer les automobilistes en roulant sur la route (où j’ai parfaitement le droit de me trouver, soit dit en passant) ou devenir invisible pour vous faire plaisir et risquer de me faire tuer.