Il est arrivé comme un flash, aveuglant. Un prodige auquel on pardonnait beaucoup. Soit en raison de son jeune âge ou parce que son talent et sa force permettaient qu’on lui passe ses quelques écarts.
Peter Sagan est fantasque, habile, présomptueux. Il a parfaitement compris que ce sport avait besoin de paillettes et d’exploits héroïques. Il lui a offert les deux, en gagnant avec bravoure, puis en défilant la roue avant dans les airs.
Mais le Slovaque s’est mis à être un peu trop con, trop pompeux. Et à perdre.
L’épisode du « pognage de cul » des dames du podium, sa manière de s’introduire dans les photos (pratique mieux connue sous le nom de photobombing), et son attitude adulescente semblaient désormais nuire à ses performances, alors qu’il collectionnait les secondes places.
Sa chasse de Ruben Plaza sur la 16 étape du dernier Tour de France était plutôt représentative de l’ensemble de l’œuvre, Sagan livrant une performance ahurissante en dévalant comme un fou le Col de Manse, mais en vain. Il lui manquait toujours quelques watts, quelques mètres. Du moins, lorsque cela comptait vraiment. C’est-à-dire pour les Grands Tours et les Monuments.
Car, rappelons-le, Sagan a quand même remporté le classement général du Tour de Californie en 2015, le classement des points et deux étapes au Tour de Suisse, les points à Tirreno-Adriatico, le maillot du meilleur jeune au Qatar… Mais lorsqu’il a remporté la troisième étape du Tour d’Espagne à Malaga (avant d’en être éjecté par un motard imprudent), sa plus récente victoire d’étape d’un Grand Tour remontait à la 7e du Tour de France… 2013.
Que Sagan se retrouve dans l’écurie de l’arrogant milliardaire russe Oleg Tinkov n’a pas beaucoup aidé. Comme si la présence de l’irritant et flamboyant homme d’affaires avait fait sortir le pire chez Sagan. Tout ce côté clinquant, fluo. La moue d’ado détestable. Sagan aurait pu devenir une farce.
Puis est survenue cette victoire aux championnats du monde dimanche.
Une victoire parfaite, à bout de bras, incarnant ce qu’on aime le mieux du cyclisme : force, endurance, panache. 2,7 km en échappée solitaire, jusqu’au bout.
Sauf que c’est en conférence de presse que Sagan est réellement devenu champion du monde.
Et c’est là qu’après l’avoir aimé, puis détesté, je me suis non seulement incliné devant l’excellence de sa victoire, mais aussi son humanité.
« J’espère que nous sommes une inspiration pour les gens, et que la situation du monde peut s’améliorer. La situation est difficile en Europe en ce moment, et je dis au gens : changez le monde ! », a déclaré le nouveau champion du monde en conférence de presse.
Sagan parlait évidemment de la crise des migrants syriens. Crise à la laquelle son pays, duquel il est aussi le champion en cyclisme sur route, a répondu en fermant hermétiquement ses frontières et en s’opposant au plan d’accueil européen.
Voilà ce type qui a toujours pris le monde comme une scène où étaler ses pitreries, mais qui cette fois prend la scène de la plus belle manière, et en profite pour y exposer les problèmes du monde, appelant au changement en disant qu’il souhaite que son courage en inspire un autre: social, humain.
« Ce qui se passe en Europe était une grande motivation pour moi aujourd’hui, car je voulais pouvoir dire cela ici », a-t-il dit.
Du coup, l’arrogante petite frappe s’est métamorphosée en champion d’un monde meilleur.
Finalement, c’est de ce genre de héros-là dont avait besoin le cyclisme.
(photo UCI / Graham Watson)