Anthony Turgis semblait complètement incrédule après avoir passé le premier la ligne d’arrivée à Troyes.
À ses côtés, Pidcock, Gee et consorts avaient tous aussi lancé leur vélo vers la ligne. Mais le trentenaire natif de la banlieue parisienne sud avait pris les bonnes roues, bien ménagé son énergie. Et c’était, du groupe, le meilleur sprinteur.
Victoire « Cendrillon »
Abonné aux secondes places (Milan-San Remo en 2022, Kuurne-Brussel-Kuurne en 2021, À travers la Flandre en 2019), le Français de 30 ans fait aussi partie de l’une des équipes les moins en vue du Tour de France. Si l’escouade de deuxième division (ProTeams) a reçu une des deux invitations de type Wildcard (équipes invitées) au Tour, c’est beaucoup parce qu’elle est française et cumule 24 années d’histoire sportive. C’est avec elle que David Veilleux évoluait, d’ailleurs (autrefois sous le nom d’Europcar), donnant au Québec son premier participant à terminer une Grande Boucle.
C’est donc une victoire « cendrillon » à laquelle presque personne ne rêvait même. Sauf peut-être Turgis et son équipe. Et encore, il n’était pas le coureur protégé ce jour-là.
C’était aussi une troisième victoire hexagonale dans ce Tour. Autant de soupirs de soulagement pour un pays qui a bien besoin de sport pour le rassembler : en même temps que Turgis bataillait sur les routes blanches de la région champenoise, les Français se rendaient aux urnes pour offrir au pays un résultat surprenant, mais néanmoins complexe. Lundi matin, le monde entier titrait que la France est désormais ingouvernable.
Demandez à la poussière
Le partage du pouvoir est autrement positif dans le sport et l’horizon est nettement plus ouvert pour ce Tour de France qui concluait le premier droit de cette édition par une étape qui faisait pop, pop, pop, comme des bouchons de Champagne qui sautent un soir de nouvel an.
Vous savez ce qu’est la méthode champenoise? C’est la manière traditionnelle de fabriquer le Champagne, sur les terres où se déroulait cette neuvième étape. On prend le vin, d’abord fermenté en cuve, puis on ajoute de la levure et du sucre pour que la fermentation se termine en bouteille. En résulte cette effervescence qui fait sauter les bouchons et vider les portefeuilles.
Pas de levure pour faire mousser le vélo? Demandez à la poussière de se mêler de la partie et vous obtenez une des meilleures étapes du Tour des dernières années, menée à fond de train du début à la fin, comme s’il s’agissait d’une course d’un jour. Du cylisme qui fait « pop »!
« Le seul vrai rival, c’est Pogačar »
Parmi les meneurs, Pogačar et Evenepoel ont joué les animateurs, lançant quelques cinglantes attaques qui ont finalement été annulées par une Jumbo défensive qui refusait de travailler, même si cela aurait pu se faire au détriment des Roglič, Rodrigez et autres prétendants au classement général qui en arrachaient un peu derrière.
« Pour nous, le seul vrai rival, c’est Pogačar, a exposé l’Américain Matteo Jorgenson qui, avec Christophe Laporte, ont tiré Jonas Vinegegaard de situations fâcheuses à quelques reprises. Comme lorsqu’il a dû enfourcher le vélo de son coéquipier Jan Tratnik, dans une version nettement plus heureuse du fiasco d’il y a deux ans sur les pavés.
« C’était ben cool. La gravelle était pas mal plus… gravelle qu’on pensait », a rigolé le maillot jaune, Tadej Pogačar. Ce qu’on a pu constater en voyant les roues qui s’enfonçaient parfois dans le gravier, très malléable par endroits. Suffisait de prendre la mauvaise ligne pour aller y gaspiller de précieuses cartouches. Ou être pris à l’arrière, et devant s’arrêter et marcher pour terminer la montée.
Une étape digne d’une classique qui n’a pas eu de répercussion au classement général, mais qui a ravi, comme presque toutes les étapes de ce Tour jusqu’à maintenant.
Pensez-y. La victoire de Bardet par la peau des dents. Les deux sprints victorieux et historiques de Biniam Girmay. La fameuse 35e de Cavendish (oui, bon, je sais, je me suis totalement planté en prédisant qu’il n’y arriverait pas). L’attaque de Pogi dans le Galibier. Même le contre-la-montre s’est révélé excitant, puisqu’il a solidement rebrassé les cartes du général et qu’on a bien cru un moment que Remco Evenepoel, qui se promettait une belle victoire, avait crevé. Mais non.
Tout est encore possible
Et il reste encore 6 étapes de montagne, une accidentée pour les coups-fourrés (et l’échappée), et le contre-la-montre final.
Beaucoup pensaient que le Tour serait emballé à ce stade-ci. Que Pogačar se serait rembourré un joli coussin de 5 minutes dans le Galibier. Mais non. Les écarts sont encore minces et les scénarios à envisager sont presque infinis.
Heureusement qu’il reste aussi encore quelques étapes de plat qui se regardent sur l’avance-rapide, sinon, on n’aurait plus de vie pour encore deux semaines. Parce que le Tour quitte peut-être la région champenoise et la poussière de ses routes blanches, mais il n’a pas fini de faire pop, pop, pop!