Du Vermont à la Floride, le journaliste Mathieu Massé et la photographe Isabelle Bergeron ont couvert la récente campagne présidentielle à vélo. Ils ont découvert une manière d’établir le contact avec les gens, d’entrer chez eux, et d’obtenir un accès privilégié à leurs opinions politiques.
Tout ça parce que parcourir des milliers de kilomètres sur deux roues pour raconter des histoires, ça impressionne assez les gens pour qu’ils ouvrent leur porte. Et leur tête. Et leur coeur.
Assez pour avoir vu venir la victoire de Trump? Oh que oui.
D’où vient l’impulsion de départ, l’idée de partir couvrir l’élection présidentielle américaine à vélo?
ISABELLE : C'est l'idée de Mathieu à la base. On s’est croisé au congrès de la FPJQ et il m’a parlé de ce qu’il avait en tête. Après mes études en photographie, j’avais toujours rêvé de faire un voyage en vélo (sans vraiment en faire dans la vie) parce que c’est économique, écologique et qu’en plus ça garde en forme. Mais personne ne voulait partir avec moi. Alors, j’ai tout de suite pensé que c’était ma chance. En plus, en tant que photojournaliste, je m’intéresse à l’actualité.
MATHIEU: C’est une question à laquelle il est bien difficile de répondre… J’aime à croire que je me suis réveillé en sursaut, une nuit, il y a deux ans et demi, avec ce projet de fou en tête.
Ça vient de certainement de «l’impatiente jeunesse». Celle qui ne travaillera pas pour le journal de Québec/Montréal parce que ça ne ne serait pas satisfaisant professionnellement ou personnellement… La jeunesse qui n’a pas non plus envie d’attendre de faire ses classes pour qu’on l’envoie couvrir les élections présidentielles en tant que journaliste.
Enfin, au final, j’ai dû me dire un beau matin où je regardais mon vélo acheté 4 ans auparavant et avec lequel j’avais probablement pas fait 1000 km, que j’allais partir faire du cyclotourisme politique. J’allais faire du cyclojournalisme. (le mot est venu bien bien plus tard par contre).
Qu’espériez-vous avoir comme expérience à vélo que vous n’auriez pas eue autrement?
MATHIEU: La vérité, c’est que quand tu roules en auto, tu regardes le paysage passer devant toi. Tu fais beaucoup de distance en une journée et tu manques de facto plein d’affaires intéressantes. Alors que, quand tu fais du vélo, tu deviens le paysage. Quand tu en fais partie, c’est pas mal plus facile de jaser avec. Le vélo nous permettait de rencontrer des gens simplement parce que, pour le commun des mortels, faire 3700 km de vélo, ben c’est extraordinaire et ça les impressionne. Les gens voulaient nous jaser, et quand ils apprenaient qu’on est journalistes, ils finissaient par nous parler de politique.
ISABELLE: Même si nous n’avions pas de très longues discutions avec toutes les personnes, les petits commentaires nous ont aussi éclairés sur ce que les Américains pensaient. Le réseau Warm Showers, lui, nous a permis de faire le voyage. En tant que pigistes, nous n’aurions pas eu assez d’argent pour payer un hôtel ou un terrain de camping chaque fois.
Quel était le plan? Où alliez-vous aller, et pourquoi? Et est-ce que le plan a changé en cours de route?
MATHIEU: Le plan était très peu établi. On s’en allait en Floride. On partait du Vermont. Entre les deux, on se gardait la marge de manoeuvre qui aurait pu nous mener à quelque part de bien différent. On voulait pouvoir tourner à droite si on en avait envie, et ne pas être pris pour aller à gauche à cause d’un plan, tu vois.
C’est grâce à ça qu’on a pu aussi prendre la décision de visiter les Outer banks en Caroline du Nord plutôt que de couper dans les terres. On a eu des conseils de cyclistes avertis. Des suggestions de routes. Des avertissements… Au début on pensait aller aussi loin à l’Ouest que le Kentucky. «Oublie ça! nous a dit un des hôtes de Warmshowers.com, c’est un des pires états possible où faire du vélo». On est partis un peu gonzo. Sans trop savoir ce qui nous attendait. Selon moi c’est ça qui nous a permis de trouver nos meilleures histoires…
Les médias ont été complètement flabbergastés par la victoire de Trump. En ayant été sur le terrain, cela vous surprenait-il autant ou si, au contraire, vous avez vu la vague venir?
ISABELLE: Sur le terrain, on sentait énormément la vague Trump. On parlait avec des gens déçus des candidats, mais étonnamment beaucoup allaient du côté de Trump… pour essayer quelque chose de nouveau. Étant en vélo, on avait décidé de passer par les petites villes, donc on croyait que, comme nous étions en campagne, nos résultats étaient teintés par notre trajectoire. C’est drôle parce qu’en privé, à mes amis et ma famille (ils me l’on rappelé à mon retour) je disais souvent que je pensais qu’il allait gagner et que ça me faisait un peu peur. Mais, journalistiquement, même si plusieurs de nos entrevues allaient dans ce sens, c’était difficile à défendre à côté de tous les sondages.
MATHIEU: On s’est finalement dit que les gens qu’on rencontraient étaient dans de petites communautés, que les grosses villes allaient faire tourner les états pivots… on s’est bullshités nous-mêmes, si tu veux mon avis.
J’était ben fâché à 2h00 du matin, le 9 novembre. En revenant du party d’élection, je l’ai dit tout de suite. On est cave! On aurait dû parler de ce qu’on a vu et le dire: c’est possible qu’il gagne. Mais non. C’est certainement ma plus grande déception dans toute cette histoire. Parce que le reste, j’en suis tellement fier et satisfait.
Avez-vous découvert des choses surprenantes, auxquelles vous ne vous attendiez pas?
MATHIEU: Je crois qu’on ne s’attendait pas à ce que les Américains soient aussi chaleureux. Genre: VRAIMENT chaleureux. On nous accueillait à bras ouverts, partout où on allait.
On a aussi compris à quel point les gens étaient malmenés par ce processus électoral. Ils étaient profondément malheureux d’avoir à faire un choix entre ces deux ploucs… On a compris, et je pense que c’est tellement important de le dire, que ce n’est pas parce qu’une personne a voté pour Donald Trump qu’elle est automatiquement raciste, misogyne et homophobe. C’est tellement plus complexe. Il y a tellement plus de nuances de gris, et on a rencontré tellement de belles personnes qui allaient donner leur voix aux républicains, en ne faisant pas de cas de tout le mal qui s’est dit… Il y a beaucoup, énormément d’ignorance aux États-Unis. Et encore plus de peur.
Quel a été le moment fort de votre expérience?
ISABELLE: L’ouragan Matthew a été un moment fort. Vivre dans un refuge de la Croix-Rouge, avec des gens démunis qui ne savent pas si ils ont tout perdu ou pas. De voir le meilleur et le pire des humains. Des gens qui donnent et des gens qui ne font que se plaindre.
Aussi : l’arrivée à Orlando, le but du voyage était atteint. Après 3700km de vélo, c’était une douce victoire pour mon âme de non-cycliste.
Enfin : les élections. Un vrai Noël journalistique. Mais le lendemain tu te réveilles en te rappelant que ton chum t’a offert une rallonge pour ton char et un balai à neige…. c’est plutôt décevant. Par contre, je ne pense pas qu’une victoire d’Hillary Clinton aurait eux des échos de fête. Oui, ça aurait été la première femme présidente, mais je ne pense pas que les Américains voulaient que ce soit elle, LA première femme présidente.
Quels sont les défis liés au vélo que vous avez du surmonter? Et au contraire, les avantages que ce moyen de déplacement vous a procuré?
MATHIEU: Les défis sont souvent mécaniques. Mes pneus m’ont joué des tours à quelques reprises. Le levier de vitesses d'Isabelle pour son dérailleur avant a brisé le premier jour… Quelle horreur, le Vermont, pris sur le plateau du centre.
Isa est asthmatique dans la vie donc c’est quelque chose d’extra qu’elle ait passé 3700 km sans trop de mal! Une ou deux crises mineures, mais vraiment rien de terrible.
Comme je le disais plus haut, le plus grand avantage, c'est que les gens voulaient nous parler. Aussi, ils ne trouvaient pas qu’on avait l’air dangereux. Comme l'a dit un hôte de Warmshowers à qui on signalait que c’était un peu contradictoire de nous inviter dans sa maison, alors qu’il nous parlait tellement de la sécurité de sa propriété et des guns qu’il a dans sa maison :« Les bad guys ne parcourent pas les routes à vélo… Et puis quoi? vous allez vous sauver avec ma TV sur vos bicyclettes?»
Quels sortes (modèles, genres) de vélos utilisiez-vous, justement? Et puis au final, ça s'est bien passé? Vous avez réussi à vendre pas mal de reportages?
ISABELLE: Mon vélo est un Opus Fugue… Il est vieux, je l’ai acheté usagé d’une dame qui a traversé une bonne partie de l’Asie avec. Elle était bien heureuse de savoir que sa carrière n’était pas terminée. Je suis ben fière de ma bécane, rock on Fugue! J’avais un ex qui shinait son vélo de montagne, pis je comprenais pas trop l’intérêt. Et là, j’avoue avoir pas mal envie de le bichonner pendant l’hiver: y'est pas mal sale. Il le mérite pour m’avoir permis de me rendre à bon port.
MATHIEU: Le mien est un Giant, Defy 3 2011. Donc pas pantoute un vélo pour faire du cyclotourisme. Fourche en carbone qui a souffert pas mal mais qui grâce à des pad de chaises autour du collet du rack à bagage a survécu sans trop de dommages.
Nos sacs étaient une commandite de Arkel Panniers, une compagnie de Sherbrooke. Chacun une paire de Orca 35 et 45 plus un sac de guidon.
On n’avait jamais roulé ensemble avant de quitter Burlington, ni même fait de vrai cyclotourisme. Gros pari risqué qui a drôlement bien payé. On est chanceux je crois…
On a trouvé nos 2 premières semaines difficiles, mais au final, on est passé d’une moyenne de 70 km à une moyenne de presque 100 par jour. C’est sur qu’une fois passé les appalaches c’était bien plus facile.
Isa avait fait très très peu de vélo, tout genre confondus avant qu’on parte. Mais elle m’a dit: «J’ai une tête de cochon, c’est suffisant» Faut croire que c’est vrai.
Sinon, si tu te demande, on a réussi à vendre pas mal de stock sur la route: Journal Métro, Ricochet média, Urbania, Radio-Canada et plusieurs autres. Mais voilà, trop de gens ne payent pas leurs pigistes et ça reste qu’on revient de ce trip là un peu fauchés. Si TOUT LE MONDE payaient leurs chroniqueurs et leurs pigistes, on auraient surement pu arriver kif kif… mais bon, on est pas encore dans ce monde là…