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Reportage

Bouffée de nostalgie

19-09-2013

En compagnie de Théo le chien, j’emprunte une succession de sentiers qui me mènent au sommet du mont Irma-LeVasseur, d’où la vue porte sur le lac Saint-Charles d’un côté et sur la ville de Québec de l’autre. J’éprouve une sensation bizarre. Une sensation de vide. À cette heure-ci, pendant les deux derniers mois, j’étais souvent à l’hôpital, pour aider mon papa, Rémi, à déjeuner, m’assurer qu’il mange bien, car il perdait des forces de jour en jour. Samedi dernier, le comptable qu’il était a décidé de fermer les livres définitivement, d’aller rejoindre Gisèle là-haut. Ses funérailles ont eu lieu hier dans la grande église de Beauport, celle-là même où nous allions à la messe en famille, tous les dimanches. Comme dans le temps, pendant la cérémonie, mon regard a dévié vers la majestueuse nef. Chaque détail des peintures ou des vitraux était encore bien gravé dans ma mémoire. Comme une bouffée de chaleur, la nostalgie et l’émotion m’ont envahi.

Une bouffée de nostalgie tout de même moins forte que  celle qui m’avait secoué plus tôt dans la semaine, alors que j’épluchais les archives de papa, dans le but d’afficher un hommage en photos au salon funéraire. Tout seul dans son appartement vide, j’ai ouvert les boîtes de chaussures où Rémi avait amassé de véritables trésors. J’y ai trouvé des centaines de photos de lui, de ses ancêtres, des équipes de hockey championnes dont il a fait partie. Des images délavées de locomotives à vapeur entrant en gare à Charny, de religieux qui jouent au hockey en soutane, de gens qui fument devant des automobiles géantes. Des coupons de rationnement de la Deuxième Guerre. Toute la correspondance entre papa et maman avant qu’ils ne se marient. Pas été capable de lire. Trop torride.

Papa tenait aussi des archives pour ses enfants : j’ai retrouvé des bulletins, des photos de toutes mes classes au primaire, avec le nom des élèves écrit au dos par maman. Des noms vaguement familiers, couverts de poussière au fond des tiroirs grinçants de ma mémoire. Des bribes de souvenirs… des flashes de maîtresses d’école sexy, de ballon prisonnier, de batailles dans la cour de récré.

Témoin de ma sixième année et des années 1970 : un «travail de recherche», intitulé Présent… Futur… Moi… Sept pages maladroitement agrafées avec, sur chacune, une photo découpée et une légende: «Mon métier plus tard: architecte», «Mon auto plus tard» (une rutilante Chrysler Newport 1970!), une chute dans un parc national piquée dans un National Geographic, sous-titrée «L’Ouest américain, que j’aimerais vi­si­ter plus tard».

La page qui m’a le plus frappé s’intitulait «La bicyclette, mon sport préféré» et était ornée d’un magnifique Schwinn Orange Crate, probablement déniché dans un catalogue Canadian Tire. Avec son «banc banane», ses « poignées fantômes » et son levier de vitesses «au plancher», il m’a rappelé ce petit vélo de 20 po que j’avais baptisé Spitfire à cause des centaines de petites flammes dessinées au pinceau une à une sur ses ailes métalliques. Un petit triangle jaune, une ligne orange autour, une ligne rouge par-dessus. J’en ai passé, des heures, à décorer ce vélo, mais encore plus à pédaler dessus dans les rues du voisinage et encore plus loin, libre comme un Hells Angels de pacotille. C’est avec lui que je suis monté en ville un samedi soir, avec Isabelle, surprendre des amis qui sortaient du Cinéma de Paris. Elle a dû aimer la promenade, car un peu plus tard, nous devenions officiellement un petit couple.

Je me surprends moi-même d’avoir déclaré à un si jeune âge mon enthousiasme pour la bicyclette, convaincu que cette passion s’était affirmée beaucoup plus tard. Mes jeunes années, je les associe à d’autres sports. Le ski nautique au lac Trois-Saumons. Papa qui me montre comment attraper une balle de baseball, comment lancer une curve. Le ski de fond (obligé) au camp Mercier. Les hivers sur la patinoire aménagée par les papas du voisinage dans le terrain vague à côté, habillé en bleu-blanc-rouge avec le numéro 4 dans le dos. Je me rappelle ma fierté lorsque, à la demande générale, papa se joignait à nous et nous subjuguait, tellement il driblait vite avec la rondelle. Ou cette fois où il m’a demandé de remplacer au pied levé le gardien de but de son équipe de old timers. J’étais alors un gardien de but «midget local» bien ordinaire, mais ce soir-là, j’ai joué la game de ma vie. La fierté, elle était dans les yeux de papa, lorsque je frustrais ses amis coup sur coup.

Les boîtes au trésor contenaient d’autres signes de la fierté qu’éprouvait Rémi pour ses enfants : des coupures de journaux nous concernant, des Polaroid de mes premières courses au mont Sainte-Anne, des piles de Vélo Mag, que Rémi ne manquait pas de lire et de commenter. J’ai jubilé en retrouvant une photo que je croyais perdue: celle d’un ado aux cheveux longs, en bedaine, portant des shorts extra-courts Adidas et des espadrilles Northwave à 10$, monté sur un 10 vitesses Peugeot battu, un gros sac à dos à armature en acier sur le dos, quittant la maison pour son premier voyage de cyclotourisme.

Ça me fait drôle d’avoir fait plein de sports avec mes parents, mais que nous n’ayons jamais roulé à vélo ensemble. Un jour, j’avais remis à neuf les vélos du cabanon pour eux, et ils les ont utilisés à l’occasion, mais jamais nous n’avons pris le temps de faire une belle balade ensemble. Il est un peu tard pour y penser. N’empêche que j’aimerais bien les avoir ici, à côté de moi, pour partager le calme du moment, la vue sur la ville et ses petites fumées de cheminées dans lesquelles s’accrochent les rayons du soleil. Soleil ? Oups, ça veut dire qu’il faut retourner tout de suite, Théo, avant que nos sentiers ne ramollissent. La vie continue, comme on dit.

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