Désireuse de se faire sa propre idée sur le vélo de montagne, Sylvie Ouellette, consultante en marketing touristique, a décidé de s’initier à cette pratique et je l’accompagne dans les sentiers les plus faciles de Vallée Bras-du-Nord, à Saint-Raymond, dans Portneuf.
Une fois qu’elle a apprivoisé le fonctionnement de sa monture, elle commence à s’amuser et constate que l’expérience est à l’opposé des clichés. «Le trip, c'est pas pantoute une affaire d’adrénaline, c’est bien plus zen: c’est le plaisir de rouler en contemplant la forêt!» s’exclame-t-elle après quelques kilomètres.
Sylvie doit composer avec le stress du dé- butant, néanmoins à mesure qu’elle apprendra à piloter, elle verra que le trip dépasse le simple contact avec la nature. Elle pourra grimper, à coups de petits orgasmes, jusqu’au nirvana de la montagne, cet état de grâce qui nous envahit lorsque le sentier, la machine et l’humain ne font qu’un. Quand le vélo balance entre nos jambes, colle à la piste, glisse entre les obstacles. Quand poignets et guidon, doigts et leviers, pieds et pédales, coudes, genoux et suspensions fusionnent. Quand chair, esprit et métal chantent en harmonie.
Trêve d’élucubrations, Sylvie me demande quelles sont les caractéristiques des sentiers susceptibles de donner une telle jouissance aux cyclistes. Je conviens que chaque individu a ses préférences, mais qu’on peut identifier certains aménagements qui plaisent à la majorité.
Toujours plus de flow
Quand on conçoit un sentier, on lui donne un certain rythme. Lorsqu’on y enchaîne montées, descentes, virages et même embûches techniques de façon fluide, on dit que le sentier a du flow. Le flow trail pousse à la limite cette notion de fluidité. Il est large, dé- gagé, fait à l’aide de machines. Il est dénué de racines et de roches, en pente assez douce pour ne pas obliger à freiner mais suffisamment prononcée pour laisser aller vite. Il enchaîne des virages surélevés géants, des bosses savamment placées afin que d’aucuns les absorbent et d’autres les sautent, une par une ou même deux à la fois. Les tout-petits comme les adultes, les as comme les recrues éprouvent énormément de plaisir dans ce type de sentier, c’est pourquoi chaque centre s’efforce d’en construire au moins un.
Des virages surélevés, svp
Le freinage est l’ennemi numéro un des sentiers, parce qu’il crée de l’érosion et aussi en raison du fait qu’il prive les cyclistes de leur vitesse souvent chèrement acquise au pédalage. Par souci d’éviter de forcer le cycliste à freiner, les virages sont habituellement relevés sur toute leur longueur, parfois très haut. Avec un peu d’expérience, on arrive à «monter» dans la partie pentue de la courbe en inclinant le vélo sous son corps, ce qui permet de conserver sa vitesse sans avoir besoin de relancer, une manœuvre qui, lorsqu’elle est bien exécutée, provoque une exquise zouichance. C’est pourquoi on entend souvent parler de façon enthousiaste de tournants «bankés» ou de «burns», déformations des termes banked turns (virages inclinés) et berms (accotements).
Des descentes et des montées à pic
Longue ou courte, la descente abrupte change le rythme et contraint à freiner et déplacer son poids vers l’arrière en absorbant le choc à l’arrivée. La montée subite, elle, astreint à prendre de la vitesse, à choisir le braquet adéquat et à consentir un effort quelquefois ponctué d’un léger coup de rein au bon moment. Ces irrégularités vers le bas ou vers le haut sont par moments intimidantes, cependant elles mettent du piquant dans une randonnée et apportent une grande satisfaction lorsque franchies avec succès.
Des jumps! Des jumps! Des jumps!
«Il est beau, ton sentier, mais il manque de jumps.» Ce commentaire, entendu souvent, montre à quel point une certaine clientèle ne jure que par les sauts. Quitter le sol, s’envoler et retomber en douceur est une sensation grisante qui ramène aux plus beaux jours de l’enfance. Chez plusieurs, la possibilité de s’envoyer en l’air et surtout de démontrer toute l’étendue de leur habileté chemin faisant est devenue une priorité et le critère d’évaluation du niveau de plaisir d’un sentier. En contrepartie, ceux qui n’ont pas appris à voler doivent faire preuve de prudence avant de s’élancer. Rien n’est plus douloureux pour un concepteur de sentier que d’apprendre que quelqu’un y a fait une chute et s’est blessé. Le sentier idéal est celui qui laisse à la fois les as exercer leur maestria et ceux qui «ont besoin de travailler lundi » absorber ou contourner les bosses tout en s’amusant et en progressant.
Passerelle en vue
BRAAAAAAAPPP! Le bruit des roues sur les planches retentit et procure lui aussi un agrément presque enfantin. Les passerelles de bois simplifient la vie des constructeurs confrontés à des zones humides ou fragiles, à des sols trop accidentés. Elles seront munies ou non d’un garde-fou et leur largeur variera en fonction du degré de difficulté du sentier, mais elles provoqueront toujours un délicieux frisson lorsque négociées correctement.
Attention, champ de roches!
Autant la fluidité est une caractéristique appréciée d’un sentier, autant les montagniers aiment voir apparaître de temps à autre des no flow zones qui cassent le rythme et demandent force et concentration. Ces zones prennent souvent la forme de champs de roches (rock gardens, dans la langue de Shakespeare), des amas de rochers de toutes grosseurs sans ligne évidente à suivre, où le défi est justement de déterminer cette ligne et d’amortir les chocs en souplesse, afin que la fluidité jaillisse du chaos.
Roche-mère à ras de terre
Le granit du Bouclier canadien affleure souvent le sol de nos forêts. Quand il est possible d’y faire passer un sentier, c’est un succès assuré, car la roche offre une surface douce qu’il est agréable de fouler, où l’adhérence est exceptionnelle. C’est le type de sentier le plus naturel et le plus durable, toujours un bonheur à rouler, même sous la pluie.
En communion avec la nature
Les feuilles d’automne qui recouvrent la piste d’un tapis crépitant, les rayons du soleil matinal qui filtrent à travers les épinettes et allument les gouttes de rosée sur les fougères, un écureuil qui traverse à la sauvette, la vue du haut des falaises, le franchissement d’un ruisseau en cascades, voilà l’essence du vélo de montagne, un sport qui nous plonge au cœur de la nature.
Sylvie interrompt une nouvelle fois mon envolée lyrique pour me demander si je connais un sentier qui réunirait toutes ces caractéristiques. La réponse est toute proche, ici, dans la Vallée: c’est le fameux Neilson. Il faudra toutefois à Sylvie quelques heures supplémentaires de pratique avant qu’elle ne s’y aventure. Elle a encore beaucoup à apprendre, mais maintenant qu’elle a saisi ce qu’est le trip de la montagne, parions qu’elle délaissera peu à peu ses bâtons de golf au profit de sa bécane.