Si on en croit les marchés européens et asiatiques, aussi bien s’y faire : plusieurs prédisent que la même vague électrique déferlera sur le marché nord-américain. D’autant qu’au Québec, c’est presque déjà fait.
Il y a seulement quelques années, ils étaient marginaux. Une curiosité, souvent l’objet de moqueries de la part de cyclistes qui s’amusaient de leur volumineuse quincaillerie, dont la grosse batterie fixée au cadre. Puis, atteignant le proverbial point de bascule vers 2007-2008, les vélos à assistance électrique (VAE) ont soudainement déferlé sur le marché québécois.
Différents des scooters électriques qui ne demandent aucun effort et sont considérés par la loi comme des véhicules à moteur, les vélos à assistance électrique sont de véritables objets cyclistes dont on doit actionner les pédales si on veut avancer. Les batteries devenues plus légères et un système d’assistance particulièrement sophistiqué sont en train de mener à la démocratisation ce gadget qui permet, notamment à l’aide d’un moteur fixé à la roue, de multiplier, selon les préférences de celui qui pédale, par environ 25% à 300% la puissance qu’il déploie, faisant de lui une sorte de cycliste bionique. En vertu de la loi, cette assistance cesse cependant à 32 km/h et le moteur ne doit pas dépasser les 500 W de puissance.
Mais l’histoire du vélo à assistance électrique ne commence pas ici ni maintenant. Elle ne débute pas non plus au moment où, dans les années 1990, le grand dragon chinois s’ébroue, propulsant la popularité de ce type de véhicule au firmament.
VAE, une histoire
Les premières pages du récit du vélo à assistance électrique se sont en fait écrites au début du siècle dernier, des prototypes ayant été produits aussi tôt que 1930. Leur puissance faiblarde, comparativement à celle d’un moteur à explosion, de même que le poids excessif des batteries allaient cependant envoyer ces premiers modèles directement au musée.
Deux facteurs ramèneront le VAE sur la scène, ou plutôt sur les routes : d’abord, la nécessité de déplacer des millions de Chinois en phase d’urbanisation accélérée, puis les batteries, désormais au lithium plutôt qu’au plomb, à la fois plus puissantes et plus légères.
Mais avant ce grand retour qui s’affirme au Québec grâce aux ensembles d’assistance qui s’adaptent aux vélos ordinaires, la nouvelle génération de VAE en a séduit plusieurs. Parmi ceux-ci, Frank Jamerson. Docteur en physique nucléaire ayant participé à la fabrication des premiers sous-marins propulsés par des turbines carburant à la fission atomique, le scientifique américain a aussi travaillé au sein de l’industrie automobile, où il s’est spécialisé dans la conception de moteurs électriques. «En 1993, lors d’un congrès en Autriche, alors que je travaillais pour GM, j’ai découvert le VAE (ebike, en anglais). J’ai décidé d’en importer d’Allemagne, convaincu que ce serait un succès… mais ça a été un flop monumental: je n’en ai pas vendu un seul. Sincèrement, je croyais détenir un engin qui allait changer le monde. Mais ce sont les Chinois qui l’ont changé, pas moi», rigole-t-il.
Pour la dixième année, Frank Jamerson publie un rapport sur l’état du VAE dans le monde. Les chiffres qui s’y trouvent devraient suffire à faire taire les détracteurs de ces engins et à convaincre les détaillants qui le snobent de s’y mettre sans tarder: en 2011, il se serait vendu 30 millions de VAE dans le monde, dont 28 millions en Chine. L’Europe occupe la très vaste majorité de ce qui reste du marché, avec plus de 1,2 million d’unités, tandis que l’Amérique du Nord comptait l’an dernier environ 80 000 nouveaux propriétaires. Les chiffres de Frank Jamerson viennent en partie de l’industrie, mais aussi de projections du chercheur quand les fabricants ne veulent pas diffuser leurs chiffres de vente.
Des marchés grandissants
Parmi les endroits en Amérique où le marché est le plus en santé, le Québec fait très bonne figure, avec quelques grandes villes états-uniennes où la culture cycliste se porte bien. Pourquoi une telle popularité au Québec? «C’est surtout une question d’infrastructures», croit Dave Savard de chez Cycles Lambert, distributeur des désormais célèbres systèmes BionX, entreprise dont le siège social international est en Ontario mais le centre de recherche à Sherbrooke. «Ici, les gouvernements ont investi dans les pistes cyclables, ce qui a rendu le cyclisme récréatif plus populaire que jamais.» Ajoutez à ces installations une volonté collective de remise en forme parmi une population vieillissante, et vous obtenez la recette du succès du VAE chez nous.
Mais ce n’est pas tout. Encore faut-il que le système soit efficace, agréable et flexible. Celui de BionX fait école, avec ses quatre niveaux d’assistance, la capacité de recharger la batterie en roulant et sa console impeccablement conçue. Alexandre Coulombe, directeur des ventes pour l’Amérique du Nord chez BionX, explique que les principales qualités de leur engin sont peut-être ailleurs, toutefois: «Notre système est un des plus sophistiqués sur le marché, mais ce n’est pas tant la technologie que la sensation de vraiment rouler à vélo qui a fait son succès. Quand le québécois Jean Yves Dubé a lancé BionX en 1998, il voulait dès le départ qu’on sente qu’il s’agit d’un vélo et non d’un vélo électrique, que le plaisir et la sensation demeurent intacts et qu’on perçoive qu’on se propulse en partie soi-même. Avec BionX, un bon cycliste a l’impression de devenir Lance Armstrong, et un cycliste plus âgé se sent 20 ou 30 ans plus jeune.»
Au moment même où Jean Yves Dubé lançait BionX, d’autres avaient plus ou moins la même idée. C’est le cas de Currie, une entreprise américaine qui produit aussi depuis 1998 plusieurs véhicules électriques (surtout des vélos et des scooters) et vient tout juste d’être achetée par Accell Group, un holding néerlandais possédant un vaste éventail de produits cyclistes.
Et son parcours expose parfaitement les écueils auxquels doit faire face cette invention en Amérique du Nord.
Larry Pizzi, actuel président de Currie, travaillait auparavant pour le fabricant de vélo Mongoose. «Malcolm Currie, le fondateur de l’entreprise qui porte son nom, m’avait invité à voir ce qu’il faisait, c’est-à-dire des ensembles d’assistance électrique qui s’adaptent à des vélos. J’avoue que ma réaction initiale a été de lui demander pourquoi il voulait “scraper” un vélo en y ajoutant un moteur et une batterie. J’étais un cycliste, comme ceux qui se moquent des VAE aujourd’hui, et je ne voyais pas l’intérêt de ce genre d’appareil.»
Malgré leur curiosité, les grands fabricants de vélos allaient résister encore longtemps à l’appel de Malcolm Currie et de ses semblables. «Pour nous, c’était contre-nature», raconte Larry Pizzi, soulignant que ce sont les constructeurs automobiles qui, au départ, y ont vu le plus de potentiel.
Larry Pizzi sera plus tard séduit par le produit, qu’il défend désormais avec conviction au sein de LEVA (Light Electric Vehicle Association). Mais tandis que les marchés européens ont depuis longtemps pris le train du VAE, il constate qu’en Amérique du Nord, et particulièrement aux États-Unis, les choses tardent. «Le principal problème, c’est que les vélocistes sont rarement intéressés. Ils snobent le produit pour des raisons qui ressemblent au sentiment initial que j’ai eu lorsqu’on me l’a présenté: ils n’y croient tout simplement pas. Et les détaillants d’articles de sport n’ont pas l’expertise pour monter, réparer et entretenir des VAE, ni même pour conseiller les clients adéquatement afin qu’ils puissent trouver le vélo qui leur convient. On se retrouve avec un problème qui relève surtout de la distribution.»
Et aussi de la culture, évidemment, puisque la voiture domine, et que l’urbanisme états-unien repose sur une logique automobile. Mais les choses risquent d’évoluer rapidement en Amérique du Nord, comme elles l’ont fait au Québec. D’abord, parce que les villes changent et se densifient. «En Chine», expose le fondateur de LEVA, Ed Benjamin, qui cosigne avec Frank Jamerson le rapport sur le vélo électrique, «le vélo électrique est apparu en 1994 parce que les villes grandissaient et les autorités cherchaient un moyen d’encourager des déplacements peu coûteux, rapides et moins polluants. Ces autorités ont donc encouragé ce marché, créant un boom gigantesque pour ce produit. En Europe, où on a une culture presque séculaire du vélo utilitaire, plusieurs cyclistes ont découvert que le VAE leur permettait de se déplacer plus efficacement sans nécessairement peiner dans toutes les côtes, ce qui évite d’arriver au travail en sueur. Quand le prix de production des batteries au lithium a baissé, vers 2002, le marché européen a littéralement explosé. Aux États-Unis, le problème, c’est que les gens ignorent carrément que le produit existe. Les infrastructures cyclistes sont établies dans la plupart des grandes villes, les systèmes sont fonctionnels, pratiques et peuvent être facilement rechargés – il faut seulement répandre la bonne nouvelle.»
Apparemment, elle fait déjà son chemin, la nouvelle, et bien que la presse cycliste américaine ignore toujours souverainement ce marché, l’optimisme règne chez les fabricants.
Vélo, scooter, confusion et controverse
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BionX Le système BionX transforme votre vélo classique en VAE. L’invention québécoise a fait ses preuves partout dans le monde en équipant les vélos de grandes marques. Notez que le moteur BionX ne se contente pas de vous assister : il transforme la vitesse en énergie récupérable. Il existe cinq ensembles BionX différents à des prix variant de 1500$ à 2000$. |
eVox de Miele Le fabricant beauceron vient de mettre sur le marché un vélo à assistance électrique : le eVox. Sa batterie se recharge en une heure, donnant 150 km ou 40km d’autonomie, selon qu’on pédale ou pas. Son moteur offre cinq niveaux d’assistance. Ce qui pourrait le ralentir : son poids (23 kg avec batterie et chargeur) et son prix (2700$). |
ÉcoloCycle ÉcoloCycle distribue des vélos électriques depuis 2001. On remarque tout particulièrement le Max parmi les modèles proposés. De conception japonaise, il offre six niveaux d’assistance et son tableau de bord indique de manière précise l’origine des différentes pannes. Si l’utilisateur pédale sans l’assistance du moteur, il sera en roue libre comme sur un vélo normal. Les prix des vélos ÉcoloCycle varient de 1495$ à 2195$. |
Velec Les Velec, de conception canadienne, sont distribués dans une soixantaine de boutiques. Ils se déclinent en trois séries : la P pour puissance, la D pour distance et la S pour le classique. Ils offrent la particularité de pouvoir recevoir deux batteries afin d’augmenter l’autonomie. Il existe aussi des batteries plus performantes (13 ampères) pour gagner en puissance. Enfin, on note le modèle Le Voyageur, qui a le grand mérite d’être pliable. Ces vélos sont vendus à partir de 1700$. |