Cynthia Castonguay a réalisé ce que plusieurs croyaient impossible: en compagnie de ses fils Tjakotjac, 7 ans, et Liam, 11 ans, elle a parcouru près de 9000 km à vélo à travers les États-Unis et le Canada. Ni l’argent, ni les pressions sociales, ni les limites physiques ou mentales n’auront eu raison de la détermination du trio.
Le 20 juillet 2018, l’ambiance est à la fête au bord de la rivière Thompson, à Val-d’Or. La 50e édition du Tour cycliste de l’Abitibi bat son plein, pourtant c’est un petit peloton de trois cyclistes qu’un comité d’accueil attend impatiemment: Cynthia Castonguay et ses deux enfants, Tjakotjac Ratt-Castonguay et Liam Decoursay, sont sur le point de déposer leur vélo après avoir pédalé des milliers de kilomètres sur les routes états-uniennes et canadiennes – en outre d’une escale de deux mois au Mexique. Aussitôt qu’ils sont visibles au loin, un tintamarre se fait entendre. Il n’en faut pas davantage pour que le cadet de la famille, Tjakotjac, pédale à plein régime avant de croiser le fil d’arrivée érigé devant la résidence de ses grands-parents. «Mon plus beau souvenir, c’est quand on est arrivé chez grand-papa et grand-maman», se remémore-t-il plusieurs mois après.
La famille avait pris le départ de Buffalo, aux États-Unis, en août 2017. Chacun avait son propre vélo – deux Trek et un Devinci achetés moins de 1000$ sur Kijiji – et traînait une quantité de bagages adaptée à ses capacités. Le père de Cynthia, Raynald Castonguay, s’était joint au groupe les trois premières semaines du périple, jusqu’à London, en Ohio. Maman et garçons ont ensuite poursuivi leur chemin vers le sud et l’ouest des États-Unis. Ils ont passé Noël à San Diego, en Californie, avant de s’envoler vers le Mexique, où ils se sont installés huit semaines. À leur retour, ils ont remonté la côte ouest puis traversé le Canada jusqu’à Val-d’Or.
Le quotidien de la famille nomade
Cynthia, Tjakotjac et Liam ont pédalé pendant sept mois sur les onze de leur voyage. Au commencement, ils roulaient quotidiennement de 30 à 40 km. Quelques mois plus tard, la moyenne se situait autour de 80 km, et la journée record fait état de 112 km en douze heures.
Chaque journée débutait par les leçons de français et de mathématiques, car avant le départ, un plan de formation avait été convenu en collaboration avec la direction de l’école des enfants. Le soir, chacun remplissait son journal de bord en y intégrant des notions d’histoire, de géographie ou d’éthique et culture religieuse. Malgré que le vélo incite à voyager léger, le trio s’est laissé suffisamment d’espace pour le violon et le ukulélé qui égayaient leurs soirées; ces instruments leur ont du reste permis d’amasser quelques sous.
Car le voyage était loin d’être à l’image de ceux des familles qui se planifient un congé confortable grâce à un salaire différé. C’est avec un budget très limité de 7000$ que Cynthia Castonguay, chef de famille monoparentale, a parcouru toute cette route. «Nous faisions une épicerie de base d’à peu près 25$ par semaine. Les gars entraient dans le magasin pendant que je surveillais les vélos et chaque jour, j’achetais environ 5$ de fruits et légumes», indique-t-elle. Le riz, les lentilles, le gruau, le pain et le beurre d’arachide composaient l’essentiel de leur menu.
La famille installait sa tente où bon lui semblait: une étendue boisée, un champ vacant, une plage ou le terrain d’une église lui suffisait, au risque de se faire renifler par des ours ou réprimander.
Un nombre incalculable d’âmes charitables lui ont aussi prêté assistance. «Nous nous réfugiions derrière une église où nous campions pour la nuit. Le lendemain, le prêtre venait à notre rencontre et nous apportait de la nourriture et des sous», relate Cynthia
Les trois cyclistes ont également profité de l’hospitalité de la communauté Warmshower, une plateforme en ligne où les hôtes inscrits offrent gratuitement un toit et une douche chaude aux voyageurs à vélo. C’est d’ailleurs de cette façon que la petite famille a noué des relations amicales avec d’autres familles.
«Nous sommes partis à vélo même si nous n’étions pas cyclistes. Nous le sommes devenus. »
Cynthia Castonguay
Défi après défi
Il faut dire que l’aventure a été parsemée de difficultés. D’abord, la capacité physique de tous a été mise à l’épreuve: «Nous sommes partis à vélo même si nous n’étions pas cyclistes. Nous le sommes devenus», raconte en riant Cynthia. «Au début, on a eu une grosse côte», rajoute son fils Tjakotjac. «J’ai aimé ça, mais ça a été difficile», concède-t-il.
Le défi sportif n’était pas la première motivation de Cynthia. Vivre le moment présent et se rapprocher de ses fils était ce qui lui donnait la force de pédaler chaque jour. «Je voulais qu’ils sachent que je les aime, explique-t-elle. Je voulais ancrer ça en eux, et le faire par mon engagement de passer une année complète de ma vie avec eux.»
Bien que la motivation soit noble, elle ne convainquait pas d’emblée l’entourage de la mère de famille, à commencer par son aîné, Liam. «Je n’étais pas trop sûr», admet-il. Les autres membres de la famille étaient inquiets de la voir s’aventurer dans un tel projet, notamment en raison de la longueur des distances à franchir et de la forme physique exigée. «Sa sœur, qui fait beaucoup de vélo, répétait sans cesse que l’expédition n’avait pas de sens», se souvient le père de Cynthia.
La sécurité des enfants, tant sur la route que dans les sites improvisés d’hébergement, faisait également douter les proches. Quoiqu’il ait été témoin d’un épisode où un de ses petits-enfants était introuvable, le grand-père a peu à peu vu sa crainte s’estomper: «Cynthia avait raison. Elle était très bien préparée et elle se débrouille toujours assez bien. Sa personnalité fait qu’elle passe pas mal partout.»
Les leçon d’un mode de vie différent
Cynthia Castonguay n’en était pas à son premier projet ambitieux et hors du commun avec ses enfants: avant de partir, cela faisait déjà pas moins de quatre ans que la famille habitait à temps plein dans une yourte sans eau courante ni électricité sur une terre de Stanstead, dans les Cantons-de-l’Est. «Nous n’étions pas dans des conditions totalement inconnues», compare-t-elle.
Ce qu’elle retient surtout de son aventure est sans aucun doute les liens qu’elle a tissés avec ses fils. Ces derniers sont beaucoup plus pragmatiques: quand on leur demande de choisir parmi leurs meilleurs souvenirs, ils sont marqués par l’accueil chaleureux des familles sur leur passage… mais ne peuvent s’empêcher de nommer leur inoubliable visite du Legoland de Californie!
C’est donc dans un mélange de réconfort, de nostalgie et de choc culturel que tous les trois ont regagné leur milieu de vie en périphérie de Stanstead. «Liam avait hâte de revenir et de retrouver son milieu, mais son milieu, il ne le voit plus de la même manière après avoir vécu le voyage», constate sa mère.
La famille a troqué la yourte pour une cabane en forêt, toujours sans eau ni électricité.