Anne Pezet et Brian King donnent depuis trois ans un cours d’histoire des affaires… à vélo. Entrevue croisée avec deux professeurs de HEC Montréal qui ont compris comment capter l’attention de leurs étudiants: en les faisant pédaler.
Vélo Mag : Une idée comme la vôtre nécessite-t-elle qu’on soit amateur de vélo ?
Anne Pezet : Absolument pas ! À l’origine, Brian et moi ne sommes pas des cyclistes. C’est plutôt en réfléchissant à un moyen d’intéresser nos étudiants à l’histoire économique et entrepreneuriale du Québec que nous y avons pensé. Nous voulions leur proposer quelque chose de concret, qui incarnerait une matière qui, pour le dire poliment, ne déchaîne pas les passions. Rapidement, enfourcher nos bécanes et aller à la rencontre du sujet d’étude nous a paru être une formule gagnante. C’était en 2013.
Brian King: Nous avons eu beaucoup de monde à convaincre pour aller de l’avant. Nous étions cependant persuadés des bienfaits de notre approche: comprendre comment les entreprises de chez nous se sont construites et se maintiennent à flot exige qu’on voie les chemins de fer, les rivières, les infrastructures! Nos arguments ont fini par porter; à l’été 2015, nous prenions la route pendant douze jours dans les régions de la Mauricie et de la Beauce. Les thèmes : la désindustrialisation et l’art de se réinventer.
VM : Depuis cette première édition, où avez-vous roulé ?
AP: Durant l’été 2016, nous avons mis le cap sur le Saguenay–Lac-Saint-Jean afin de nous pencher sur les ressources naturelles et le tourisme, deux leviers économiques importants de cette région. Et l’année dernière, nous avons rallié Boston à partir de Montréal, en passant par le Vermont, notamment. À chaque édition, nous sommes un groupe d’une vingtaine de cyclistes, soit de douze à seize étudiants, nous deux et nos guides-accompagnateurs de Vélo Québec.
BK : Les régions traversées en 2017 incarnent à merveille les thématiques du développement durable et de l’innovation. Nous avons en outre visité Hydro-Québec, Téo Taxi et le MIT (Massachusetts Institute of Technology). Puisque j’ai vécu à Boston pendant huit ans, j’étais à même de relever les différences frappantes entre les deux villes universitaires que sont Montréal et Boston, pourtant de tailles semblables. En 2019, après notre pause de cet été [NDLR: M. King est en année sabbatique], nous comptons d’ailleurs refaire Montréal-Boston.
VM : Pour un étudiant, quelles sont les implications de ce cours ?
AP: Il est sûr que nous allons plus loin que dans un cours standard de trois crédits. En outre du voyage d’une dizaine de jours, les étudiants doivent effectuer des lectures préalables, puis nous remettre un journal de bord et un film documentaire d’environ dix minutes à la toute fin du projet. Comme ce cours est optionnel, nous attirons des étudiants issus de toutes les branches de la gestion, inscrits au baccalauréat comme à la maîtrise. Pas besoin, toutefois, d’avoir une forme olympique, puisque nous pédalons «seulement» de 40 à 50 km par jour en moyenne.
BK: Le partage d’un effort commun et d’objectifs de groupe suscite un esprit de communauté impossible à recréer dans une salle de classe ou autrement. Résultat: la dynamique est exceptionnelle. Nous sentons que les étudiants vivent une expérience mémorable, ce qu’ils nous confirment systématiquement par la suite. Je ne sais pas si c’est votre cas, mais rares sont les cours universitaires dont j’ai gardé un souvenir impérissable. Pour intéresser les nouvelles générations aux études supérieures, il faut davantage d’initiatives comme la nôtre