Autour de nous, des vallons sablonneux tutoient l’océan infini. Sous nos pieds, les pneus de nos vélos patapoufs s’impriment sur la grève, faisant crépiter ici et là des lits de coquillages et de galets. Au-dessus de nos têtes, un soleil couchant illumine un ciel céruléen caractéristique des journées d’été sans fin. Où sommes-nous? Non, pas à une quelconque latitude tropicale – l’absence de palmiers en témoigne d’ailleurs–, mais bien aux îles de la Madeleine PQ!
Sous la gouverne de Mario Poirier, pêcheur et copropriétaire de la boutique Le Pédalier, seul point de location de fat bikes sur l’archipel, notre petit groupe fatte sur les 22 kilomètres de la plage de la Dune du Sud, serpentant entre les monticules de sable tout en prenant soin de ne pas abîmer les fragiles milieux naturels que sont les dunes, ces collines formant de minces cordons de terre reliant les îles entre elles. Nous ne rencontrons pas âme qui vive, ce qui confère au paysage des allures de bout du monde.
Rapidement, j’apprends que le sable fin a la même adhérence que la neige folle fraîchement tombée, c’est-à-dire à peu près aucune. Pas grave, ma monture excelle dans ce genre de conditions – moyennant, bien sûr, un peu de jus de mollet. La chute, lorsqu’elle survient, est sans conséquence et déclenche le grand rire communicatif de mes accompagnateurs. Manifestement, le vélo obèse est roi, ici. N’est-ce pas d’ailleurs son élément naturel?
Pas que l’hiver
Le vélo à pneus surdimensionnés (VPS) est né en Californie dans les années 1980. À l’instar des îles de la Madeleine, le Golden State regorge de bords de mer sablonneux. Afin d’y rouler sans s’enliser, les adeptes ont muni les premiers vélos de montagne d’alors de pneus ballounes de 8 à 12 centimètres de largeur. Aujourd’hui, les États-Unis ont même leurs Championnats nationaux de fat bike sur plage, qui a lieu chaque année en mars à Wrightsville Beach, en Caroline du Nord.
Il aura fallu attendre environ trente ans avant que la machine ne soit introduite au Québec, dans ce cas pour rouler sur la neige. Rapidement, la province l’adopte, l’«hivernalisant» au passage – c’est d’ailleurs pourquoi les appellations «vélo sur neige», «vélo d’hiver», «vélo à neige» et «vélo de neige» sont parfois utilisées pour désigner le fat bike, rappelle l’Office québécois de la langue française dans son Grand dictionnaire terminologique.
Pourtant, l’activité en est une résolument estivale, affirme Jimmy Coll, propriétaire de la boutique Mon Vélo, à Baie-Comeau. La preuve: sur les 70 vélos à pneus surdimensionnés qu’il vend chaque année, une vingtaine le sont l’été, les acheteurs ayant l’objectif avoué d’aller rouler dans le coin. «Notre terrain de jeu est idéal. À marée basse, nous pouvons accéder à de nouveaux territoires par les plages des en virons», explique-t-il. Avis aux intéressés: le littoral de la Côte-Nord est parsemé de grèves tranquilles. Attention, toutefois, de ne pas rouler directement dans l’eau de mer: corrosion assurée.
Dominique Faure, copropriétaire de Spherik, constate le même phénomène: des fat bikes, il en vend désormais à l’année. Selon lui, le pendant estival du sport attire une clientèle fortement orientée vers la découverte, l’aventure et le plein air. «La façon de pédaler est plus récréative. Ce vélo polyvalent permet de rouler un peu partout, y compris dans les sentiers de vélo de montagne», décrit-il.
D’ailleurs, lui-même est un fatteux de belle saison. Ses partenaires de selle: ses jeunes filles. «En tant que père de famille, je constate que c’est tout un défi de leur faire lâcher la tablette pour bouger. J’y arrive cependant avec le fat bike. Je vais rouler en leur compagnie le soir, après le travail. Elles trouvent ça facile à manier et en redemandent!» s’exclame-t-il.
Vélo passe-partout
Tony Charest a saisi très tôt le potentiel de la bécane dodue lors de la saison chaude. Depuis l’été dernier, le propriétaire de Zone Aventure, à Saint-Joseph-de-Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent, les loue par bloc de trois heures, de demi-journée ou de journée complète. Seuls ou guidés, ses clients (une centaine en 2016) parcourent en tout ou en partie les 35 kilomètres que totalise son réseau de chemins forestiers balisés.
Racines mouillées, roches dissimulées, virages serrés, herbes hautes, champs sauvages, tourbières, sous-bois: peu importe le terrain, le VPS aplanit carrément les difficultés du parcours. Un atout pour sa clientèle hétéroclite. «Outre la surprise et la curiosité à la vue des fat bikes, c’est la facilité d’utilisation de ces derniers qui revient souvent dans les commentaires. Les gens ne s’attendent pas à ce que ce soit aussi manœuvrable et agréable», dit-il.
Ailleurs au Québec, les endroits où il est possible de fatter l’été se comptent sur le doigt d’une main: près de Montréal, le parc national d’Oka propose en location six fat bikes pour arpenter ses 11 kilomètres de plages attenantes au lac des Deux Montagnes. L’activité offerte depuis quatre ans ne sera toutefois pas étendue à d’autres établissements de la Sépaq.
La meilleure option reste donc de profiter des 300 kilomètres de grèves des îles de la Madeleine – plus que le nombre de kilomètres de route! Mario Poirier, qui envisage de doubler sa flotte de fat bikes de location cet été, vous y fera découvrir les charmes de ce bout de Québec échoué au beau milieu du golfe du Saint-Laurent. «On nous parle beaucoup de notre terrain de jeu, soulignet-il. C’est vrai qu’il est exceptionnel pour fatter.»