«C’est le rêve d’une vie, un rêve qui va faire un peu mal, mais un rêve tout de même», explique Sandra Cole en riant. Ce rêve, c’est celui de rouler les 3443 km du Tour de France cet été, avant l’événement officiel toujours réservé aux hommes. À 48 ans, elle devient la première Québécoise à être sélectionnée pour faire partie de l’équipe de 14 cyclistes féminines portées par le mouvement Donnons des elles au vélo.
Athlète multisport, enseignante d’anglais, mère inspirante, voyageuse carburant aux défis et Québécoise bilingue au franc-parler, Sandra Cole représentera le Québec cet été lorsqu’elle roulera sur les mythiques routes de France.
COVID-19 oblige, cette 6e édition de la course organisée par le mouvement Donnons des elles au vélo qui devait avoir lieu au début de juillet – 24 heures avant la course officielle – a dû être reportée. Si tout va bien, elle se déroulera du 29 juillet au 20 août, un mois avant le Tour de France, lui-même reporté du 29 août au 20 septembre.
« Nous voyons cela comme une façon d’aider les Français à retrouver une certaine normalité, explique celle qui enseignait aux Pays-Bas avant de devoir rentrer au pays lors de l’éclosion de la pandémie. Personnellement, ce sera aussi formidable d’être entourée de personnes qui partagent le même rêve de changer la culture du cyclisme et la même passion que moi. Changer la culture du cyclisme, donner plus de possibilités aux jeunes femmes ; il faut que tout cela devienne de plus en plus grand afin de forcer le changement», poursuit-elle.
La coureuse, qui espère bien humblement servir de modèle pour les jeunes femmes désireuses de se lancer dans le monde du cyclisme, explique avoir découvert le vélo sur le tard. Après avoir fait beaucoup de course à pied, elle enfile les marathons (dont celui de Boston à 45 ans) et les triathlons. Elle se procure son premier vélo de course et s’aperçoit rapidement que, même sans entraînement, elle surprend les gens à vélo. «Le vélo et moi, ça collait!» Blessée à l’épaule, elle doit cependant oublier les triathlons et miser plutôt sur le vélo. Avec un ami, celle qui n’avait jamais roulé en peloton s’inscrit au Gran Fondo Lac-Mégantic. À 47 ans, elle rafle un double podium, dans sa catégorie et chez les femmes. Du haut de celui-ci, cela lui saute aux yeux: les femmes se font rares.
France: une cyclosportive de la Grande Boucle ouverte aux cyclistes amateurs. Elle s’entraîne, déménage entre-temps aux PaysBas et participe à la course, au cours de laquelle elle constate à nouveau la rareté des femmes cyclistes. Cette expérience provoque en elle un déclic.
Elle suit le groupe Donnons des elles au vélo J-1 sur les médias sociaux et est inspirée par ces femmes qui grimpent les mêmes cols qu’elle. Un ami la persuade d’envoyer une vidéo de présentation et elle fait rapidement partie du groupe initial de 14 femmes sélectionnées pour l’aventure 2020.
Si les jeunes sportives se sentent exclues du cyclisme, c’est à cause du manque de modèles à suivre et aussi en raison des médias, frileux à l’idée de montrer à la télé les femmes à vélo.
Sandra Cole
Ces femmes, ces endurantes
Pour celle qui attribue son excellence à sa génétique et à sa passion pour l’entraînement, ce projet de Tour de France se veut autant un défi personnel qu’une manière de contribuer à l’évolution des mentalités.
Sa préparation physique s’est faite d’abord en pédalant à l’intérieur sur Zwift et dans le vent mythique des Pays-Bas, puis de nouveau à l’intérieur pendant la quarantaine du retour, et par la suite en course et en vélo (entraînements courts et longs, sorties de route, gravel bike) sur les routes du Québec. Le tout entrecoupé de réunions Zoom et d’entraînements virtuels avec les coéquipières françaises. «Je ne lâche pas. Je souhaite de tout mon cœur pouvoir prendre l’avion afin de me joindre à elles cet été. Et comme je suis de nature optimiste, j’ai confiance», affirme-t-elle au moment de l’entrevue.
«Si, grâce à ce cadeau génétique, je peux aider à changer les choses, cela me fait vraiment plaisir. Il devrait y avoir plus de femmes en cyclisme; nous sommes capables, nous sommes endurantes. Si les jeunes sportives se sentent exclues du cyclisme, c’est à cause du manque de modèles à suivre et aussi en raison des médias, frileux à l’idée de montrer à la télé les femmes à vélo», croit-elle.
Changer les mentalités
«Il faut que les hommes et la société commencent à croire au fait que les femmes sont capables de compléter ces parcours, lance Sandra Cole, dont les deux garçons se font un devoir de l’encourager dans son projet. Il est aussi important que les hommes viennent nous appuyer, nous, du mouvement Donnons des elles au vélo.»
«C’est important de changer ce que les gens pensent du cyclisme féminin. Pour cela, il faut les mettre devant l’évidence en montrant ce que nous pouvons faire. L’idée n’est pas d’être aussi fortes que les hommes, mais d’avoir les mêmes possibilités de compétitions qu’eux», estime la coureuse.
À l’aube de ses 50 ans, Sandra Cole parvient à s’entraîner, à travailler et à «faire la distance dans la bonne humeur». Un équilibre qu’elle souhaite aux jeunes filles qui rêvent de participer aux courses mythiques et «qui devraient avoir les moyens de le faire en étant subventionnées, commanditées et encouragées comme leurs homologues masculins»
Donnons des elles au vélo
Né en 2015, le mouvement a d’abord pour objectif la renaissance de courses cyclistes féminines par étapes en France et ailleurs dans le monde, dans un souci de visibilité et d’égalité sportive entre les femmes et les hommes.
En 2020, pour la sixième année consécutive, une équipe de 14 femmes cyclistes de niveau amateur devrait relever le défi de réaliser en trois semaines les 21 étapes sur 3443 km du Tour de France. En s’inscrivant à l’avance, des cyclistes des régions traversées peuvent accompagner l’équipe lors des différentes étapes. Les objectifs ultimes? Augmenter le nombre de participantes ponctuelles durant les étapes afin d’accroître la portée du message – un défi en ces temps de distanciation sociale – et inciter à l’organisation d’un Tour cycliste féminin médiatisé en France.
La médiatisation du cyclisme féminin est le fil conducteur du couple fondateur de Donnons des elles au vélo, Claire Floret et Mathieu Istil, ainsi que d’Aline Clément, membre très active du mouvement. Cette dernière précise que l’idée de départ était de créer un club cycliste exclusivement féminin, «mais ils [les fondateurs] se sont rendu compte qu’il y avait un faible nombre de cyclistes féminines. Cela était – et est toujours – dû à un manque de médiatisation et de visibilité en général. Pour notre mouvement, la diffusion télévisuelle est l’élément incontournable qui mènerait enfin vers l’équité entre hommes et femmes cyclistes.»
Cette version du Tour de France féminin est devenue si populaire que les gens doivent désormais visiter le site Donnons des elles au vélo J-1 pour réserver leur place afin de pédaler à leurs côtés durant certaines étapes.
Au moment de mettre sous presse, nous avons appris que Sandra Cole ne pourra pas se joindre à l’équipe de Donnons des elles au vélo 2020 en raison de la pandémie. La rédaction de Vélo Mag a pris la décision de publier tout de même son histoire, car la question de la place des femmes dans le cyclisme est toujours d’actualité. Quant à Sandra, elle prépare déjà sa candidature afin de participer à l’édition 2021.