Partout au Québec, des entreprises d’économie sociale font du vélo leur cheval de bataille pour garder des jeunes (et moins jeunes) accrochés à la société. Tour d’horizon.
L’édifice, situé dans un cul-de-sac rosemontois, à un jet de pierre d’un Canadian Tire, ne paie pas de mine. Pourtant, derrière la façade austère de ce bâtiment industriel sans charme se déroulent chaque jour de petits miracles. C’est ici, au quartier général de l’organisme à but non lucratif (OBNL) Bixi Montréal, que transitent les 6250 montures du système de vélo en libre-service afin d’être tantôt réparées, tantôt entreposées. Surtout, c’est ici que s’activent les «jeunes docteurs Bixi», des adolescents de 14 à 18 ans pour qui la réparation de Bixis est une manière de garder un pied à l’école.
Dans le hall d’accueil m’attend Pierre-Luc Langlois, directeur général de CycloChrome, l’entreprise d’économie sociale responsable de l’entretien des Bixis. L’organisme offre une formation semi-spécialisée en mécanique de vélo reconnue par le ministère de l’Éducation. Le but de cette formation: amener des jeunes à décrocher leur diplôme d’études secondaires (DES) tout en acquérant une rigoureuse éthique de travail. «Nos élèves l’ont moins facile que la moyenne. Plusieurs ont à peine un secondaire deux ou trois», souligne-t-il. En tout, c’est 200 stagiaires qu’a vus défiler CycloChrome depuis sa fondation en 2008.
C’est le branle-bas de combat dans l’atelier, où s’affaire la petite armée de stagiaires et d’employés – CycloChrome en compte 30 à temps plein, dont 80% proviennent du programme de formation. À chacune des stations de travail, un mécano redonne un peu de vigueur à un Bixi éclopé, mais aussi à des roues et à des moyeux, de même qu’aux vélos utilisés par les patrouilleurs du Service de police de la Ville de Montréal. Chaque vélo a tout d’abord été examiné par un «docteur en chef» qui en a diagnostiqué les bobos avant de les détailler sur sa fiche d’évaluation informatisée – tous les Bixis sont dotés d’un fichier Excel qui retrace les moindres chapitres de leur vie
Au fil des quelque 15000 réparations annuelles qu’ils effectuent en bonne partie, les stagiaires suivent une formation scolaire adaptée à leurs besoins et fournie par un enseignant du Centre de ressources éducatives et pédagogiques (CREP). Fait cocasse: la classe se trouve à même les locaux partagés par Bixi Montréal et CycloChrome. «Ce n’est pas pour rien que nous nous présentons comme une entreprise-école!» me lance Pierre-Luc Langlois.
Forcer du coco
Ce qui se passe quotidiennement chez CycloChrome relève de la magie… sans pour autant être exceptionnel. Partout au Québec, des entreprises d’insertion sociale et professionnelle font du vélo leur carte maîtresse. À Montréal, SOS Vélo recueille des bicyclettes usagées – 4000 par année en moyenne – qui sont remises en état par le personnel peu scolarisé de l’organisme, puis revendus à prix modique. L’idée derrière Écolo-Vélo du Cœur, à Granby, est à peu près la même: des jeunes âgés de 18 à 35 ans exclus du marché du travail revampent de vieilles bécanes qui sont ensuite mises à la disposition de la population pour une location ou un achat.
Il y a également Parvélo, à Victoriaville, qui emploie depuis 20 ans des apprentis mécaniciens de vélos pendant une durée de six mois. Au bout de leur stage, chaque participant – une cinquantaine par année – obtient un diplôme de métier semi-spécialisé. Attention: le but n’est pas de former des mécanos, mais bien des individus aptes à travailler. «Certains ne deviendront pas excellents, mais ce n’est pas grave. Ce qu’on leur inculque, ce sont tous les types de savoirs: savoir-être, savoir-faire, et ainsi de suite», explique Éric Alain, directeur général de Parvélo.
Il reste que le vélo – l’objet – est idéal pour recadrer des adultes bénéficiaires de l’aide sociale, des décrocheurs ou des toxicomanes. Véritable série de problèmes mécaniques, il oblige à organiser sa pensée, à établir un plan d’action et à se coordonner pour le mener à bien. «Au lieu de leur demander de “démancher” des palettes de bois ou de crémer des gâteaux aux carottes à répétition, on les fait forcer du coco», témoigne le grand manitou de l’organisme victoriavillois. Par la bande, c’est aussi une manière de leur faire goûter au succès et à la dignité. Un déclic se produit alors; le taux de placement dépasse 70% à la suite du passage chez Parvélo.
Pertinence certaine
Même son de cloche du côté du Vélo Vert, à Québec, où on revendique un taux de placement en emploi ou aux études d’environ 77%. Créée il y a 20 ans pour combler un manque criant de vélos usagés dans la capitale nationale – leur récupération, leur recyclage et leur vente étaient alors inexistants –, l’entreprise d’insertion socioprofessionnelle a depuis accueilli près de 1000 «employés en apprentissage», ce qui permet à certains d’entre eux de quitter l’aide sociale à la suite de leur stage. «Le recyclage de vélos offre aux individus désirant acquérir une expérience et intégrer le marché du travail une variété et une complexité de tâches. Cela met à l’épreuve la persévérance», fait valoir Luis Antonio Villamizar, directeur général de l’OBNL de Québec.
En plus d’être louables, ces initiatives sont utiles. Chez Vélo Vert, le travail des employés permet de tenir un vaste stock de vélos usagés – au-delà de 1000 –, de pièces et d’accessoires, ainsi que de fournir un service professionnel d’entretien et réparation. On va encore plus loin chez Parvélo en proposant une gamme maison de vélos hybrides et pour enfants «qui n’ont rien à envier à ceux d’autres compagnies québécoises», parole d’Éric Alain!
Et chez Cyclochrome ? C’est le plus facile : chaque fois que vous enfourchez un Bixi et que celui-ci vous transporte en sécurité et sans encombre du point A au point B, eh bien, c’est beaucoup grâce aux «jeunes docteurs Bixi».