L’automne a été splendide sur le camino frances, mais le temps vire maintenant au froid et à la pluie. Je suis arrivée jeudi 25 octobre vers 17hrs en face de la Cathédrale de Santiago de Compostella, épuisé par la grippe sur un parcours très accidenté…et comme prévu Dirk m’annonce qu’il s’y est pointé vers 14hrs! Il se dirigeait par la suite vers Fisterra alors que moi vers Porto. Pour ce qui est de Jean-Luc, il vient tout juste de m’annoncer qu’il est à St Jean Pied-de-Port, soignant ses pieds endoloris et préparant sa montée du col. Quant à Jean, on n’entendra plus parler de lui cet automne sur le Chemin.
La journée de mardi dernier fut l’une des plus enivrante de cette aventure. Je suis descendu à l’aube à tombeau ouvert des hauteurs d’El Acebo (village exceptionnel par son panorama et son architecture) pour arriver transi à Ponferrada. Des kilomètres plus loin, je lunchais sur une place publique du très pittoresque village de Villafranca del Bierzo. Je reprend une route ensoleillé et chaude. Je rejoins un cyclo espagnol qui m’incite à prendre un petit chemin absent sur ma carte. A travers les bois sur des pentes parfois très raides, j’arriverai seul dans un petit village où la musique m’attire vers un groupe de jeunes pèlerins. J’ai dû troquer mon vélo momentanément pour une partenaire de salsa.
L’ ascension s’est poursuivi plusieurs kilomètres sur des routes panoramiques. Mais en l’absence de toute signalisation, j’aboutissais à O Cebreiro en fin de journée au même moment que le groupe de jeunes pèlerins rencontrés plus tôt. Enfin la porte de la Galice, village magnifique entourée de vues à couper le souffle!
En fait le cyclotouriste ne revoit généralement plus les marcheurs rencontrés sur la route, en gîte, ou dans les lieux publics. Il en rencontre constamment de nouveaux. Le long de sa route, les pèlerins à pied apparaissent souvent et lui servent de boussole. S’ils sont là, c’est qu’il ne s’est pas égaré.
A force de filer aux côtés des marcheurs, de les saluer au cri de « Buen camino! », on finit par les prendre tous en affection. Je me prenais parfois pour leur parrain, quand on me demandait mon nom: Santiago (en espagnol) et que mon interlocuteur me souriait ravi! Marcher des centaines de kilomètres vers le même but souvent sans aucune préparation, avec une charge imposante sur le dos ou au niveau de la ceinture…ça impose le respect.
On rencontre même de super pèlerins. Ainsi avant d’atteindre le sommet de la croix de fer des pèlerins, voici Pepe qui surgit du sentier, partie à pied de Gérone il y des lustres sans un sous en poche! Mais attention pas un mendiant! Il m’a immédiatement offert ses services pour réparer l’un de mes gréements. Cordonnier, menuisier, couturier, vous en voulez et plus …il était équipé pour rendre service. Il avait maintenant 8€ en poche. Qui dit mieux? Pour chacun de nous, un exploit plus grand que de terminer un Ironman. Un ultra-pèlerin! (voir photo). On a partagé spontanément mon garde-manger pour célébrer cette rencontre au sommet.
On rencontre sur le Camino/Chemin, d’innombrables personnes qui y sont en quête de transcender un problème existentiel, personnel, sentimental, enfin des situations qui nous apparaissent sans issue dans le monde actuel…du moins temporairement. C’est à cause d’eux que je ne décolle pas le matin ou alors que je n’écris pas en soirée. Leur histoire une fois amorcée mérite qu’on l’écoute jusqu’au bout.
Mais où sont alors les vrais pèlerins? Ceux qui sont avant tout animé d’une foi mystique. Et bien avant-hier matin j’en ai rencontré toute une!
Audrey Million une jeune sage-femme d’Angers est partie du Puy en Velais à pied le 4 septembre. Elle se rend à Condom sur le Chemin. Puis s’est subitement sentie appelée par la Vierge à Lourdes, qu’elle va rallier en auto-stop. Puis l’appel du Chemin ressurgit et elle marchera jusqu’à St Jean Pied-de-Port pour le reprendre. À Pamplona elle s’équipe en cyclo pour une bagatelle, mais un seul plateau à l’avant! Par inadvertance elle bifurque vers Valladolid (je vous l’avais dit, pas facile de s’orienter seul hors du Camino). Puis elle redresse sa route vers Astorga. Là, elle entend l’appel de Fatima. Elle prend le train vers Vigo près de la frontière du Portugal.
L’appel s’évanouit et elle décide alors en cyclo de rallier le tombeau de l’apôtre par le camino portugues. Elle prie beaucoup et trouve un peu partout sa motivation dans les églises à travers les figures variées de la Vierge, son héroïne féministe.
Départ d’Audrey de Pontevedra au froid. J’avais fait le parcours la veille de Santiago et était descendu beaucoup la première partie, mais elle ne voulait pas l’entendre…car elle s’y dirigeais, très confiante en elle et prête à tout supporter sur son engin d’autoflagellation. Après Compostelle, Dieu seul sait où son coeur va la mener? Je lui écrirai bientôt pour le savoir. Mais sachez qu’elle n’a pas besoin de mes conseils.