Peut-on sillonner à vélo les rues de l’une des plus grandes mégapoles du monde sans se rompre les os ? Claro que sí. Mais ça dépend où, quand et comment. Explications et suggestions d’itinéraires.
« Mexico à vélo? Es-tu tombé sur la tête avec pas d’casque ? » m’at-on dit avant que je ne m’envole pour un séjour dans la capitale mexicaine, réputée enfumée, mal famée et surtout mal adaptée à la petite reine, puisque le sacro-saint char y est roi. D’accord, cette mégapole de près de 25millions d’âmes est à des années lumière cyclables de Copenhague, Berlin ou Montréal. Certes, bien des matamores y considèrent toujours leur accélérateur comme une extension de leur virilité. Aussi, nids-de-poule et irrégularités de la chaussée rendent potentiellement périlleux plusieurs parcours.
Cela dit, Mexico se pédale plutôt bien, et quelques-unes de ses grandes artères sont bordées de larges trottoirs, où le vélo est sinon permis, du moins toléré. Il faut aussi savoir que la ville la plus populeuse des Amériques ne forme pas une trame hermétique et impénétrable, mais bien une courtepointe de colonias (quartiers), certaines plus faciles à parcourir à vélo que d’autres parce que plus paisibles, comme la très guindée Palanco, chef-lieu des galeries d’art huppées, des tables délectables et des Chilangos (habitants de Mexico) fortunés.
Il m’a aussi suffi de prendre le métro (fabriqué par Bombardier et pareil à celui de Montréal, pour l’anecdote), surfréquenté à l’heure de pointe, pour comprendre qu’on a souvent intérêt à demeurer en surface. Compte tenu des transports en commun déficients, le vélo a ainsi su prendre sa place, ces dernières années, surtout dans les quartiers mal desservis, là même où on a commencé à aménager des infrastructures cyclables en 2007.
Aujourd’hui, Mexico dispose d’un réseau de 55km de pistes cyclables – contre 749 km de voies cyclables à Montréal –, lesquelles sont parfois utilisées à contresens ou par toutes sortes d’usagers inattendus: poussettes, ouvriers, livreurs de tacos en scooter et autres piétons hagards… Mais qu’importe: le mouvement vélo est lancé, et il prend de l’ampleur.
Ces aménagements font partie d’un vaste plan vert visant la mise au rancart de véhicules vétustes et polluants, la diminution de la circulation automobile et l’amélioration des transports en commun. Déjà, l’air est bien plus respirable qu’il y a dix ans, malgré les 2400 mètres d’altitude de la ville et les innombrables automóviles qui y circulent. « Je viens de passer huit mois à Mexico, et je n’ai jamais fait de crise d’asthme comme j’en ai eu chez moi», dit Kimberley Jones, une Montréalaise qui termine tout juste une période sabbatique dans la capitale mexicaine.
En 2010, toujours dans la foulée du plan vert, on a également implanté un système de vélos en libre-service. Désormais, 6000 Ecobici sont accessibles à peu de frais dans 444 stations. Les utilisations de 45minutes et moins sont incluses dans le tarif de location.
En 2014, un autre plan vert encore plus ambitieux a vu le jour: on compte planter un million d’arbres, augmenter le nombre d’Ecobici et agrandir le réseau de pistes cyclables de la ville d’ici 2018.
Que voir à vélo à Mexico?
Chaque dimanche, de 9 h à 14 h, le Paseo de la Reforma – quelque chose comme les « Champs Élysées de Mexico» – est interdit à la circulation automobile. En mai dernier, c’est bien en selle sur un Ecobici que j’ai donc entrepris d’arpenter la quinzaine de kilomètres de cette longue et charmante avenue verte, en suivant la marée de cyclistes qui y déferlait librement et fort gaiement.
Même si j’ai dû me méfier des cabots tenus en laisse par des cyclistes insouciants, d’un pochetron titubant sur la chaussée et d’une vieille dame qui a chuté sous mon nez, ce ravissant parcours m’a permis de voir défiler la faune cycliste chilanga et de zieuter certains des sites les plus intéressants de la ville.
Du Bosque de Chapultepec (le plus grand parc de la ville, ponctué de lacs, d’un jardin botanique et d’allées ombragées), j’ai ainsi fait un saut à l’un des plus réputés des 140 musées de la ville, le musée national d’anthropologie, avant de rouler sous l’ange doré de la colonne de l’Indépendance, l’un des symboles de Mexico.
Après avoir passé le futuriste Centro Bursatil abritant la Bourse, j’ai longé la Zona Rosa – un quartier en partie piétonnier et homotolérant, prisé par les expatriés –, puis j’ai mis le cap sur le monument à la Révolution, dans les jets d’eau duquel les cyclistes vont se rafraîchir, pour ensuite tomber sur une installation montée par des manifestants réclamant une enquête sur la disparition des 43 étudiants de la ville d’Iguala en 2014.
Tout un contraste avec les bucoliques jardins de l’Alameda Central, qui s’étirent non loin de là, en retrait du Paseo de la Reforma, et où les amoureux pudiques se bécotent sur les bancs publics, près du splendide palais des Beaux-Arts. Droit en face se dresse la Torre Latinoamericana, un gratte-ciel qui domine les limites du Centro Histórico. C’est là que j’ai mis pied à terre pour marcher à côté de ma monture puisqu’ici, les rues sont essentiellement piétonnières et… bondées de monde.
Avec la cité universitaire de l’UNAM (Universidad Nacional Autónoma de México) et les jardins flottants aztèques de Xochilmilco, ce centre historique forme l’un des trois sites de Mexico inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Il compte aussi 1500 immeubles classés ainsi que le Zócalo, deuxième plus grande place publique au monde, de même que la Catedral Metropolitana, la plus vaste église d’Amérique latine.
Tout juste à côté, le Templo Mayor, un étonnant site religieux et sacrificiel bâti par les Aztèques, émerge en plein cœur de la ville, après avoir été enseveli durant des siècles sous la cité moderne. Son voisin, le Palacio Nacional, abrite une dizaine de fabuleuses fresques créées par Diego Rivera, ce muraliste qui a toujours été fasciné par le peuple fondateur de Mexico – ou plutôt de la cité de Tenochtitlán, comme on l’appelait alors.
Bici gratis, l’autre Ecobici
Le lendemain, j’ai envie d’en savoir plus sur le plus célèbre peintre de Mexico. Je mets donc le cap sur Coyoacán, mignon quartier colonial où se trouve l’un des kiosques de Bici gratis, un service entièrement gratuit de prêt de vélo: tout ce qu’il y a à faire, c’est laisser une pièce d’identité et emprunter une bécane.
De là, je gagne bientôt les résidences jumelles où Diego Rivera a vécu avec la peintre Frida Kahlo, dans le quartier contigu de San Ángel, où abondent les façades d’inspiration espagnole le long de ruelles en pavés. Aujourd’hui une maison-musée – le Museo Casa Estudio Diego Rivera y Frida Kahlo –, cette double demeure-atelier abrite toujours des œuvres et objets ayant appartenu au couple.
Une fois mes tacos enfournés au San Angel Inn voisin – un monastère converti en resto fleuri –, je reprends la route jusqu’au Museo del Carmen, une église aux éblouissants dômes de céramique qui forme désormais un musée où un maître-autel croule sous les feuilles d’or. Mais comme je ne puis garder mon Bici gratis que trois heures, je rentre bientôt à Coyoacán en passant par l’avenida Francisco Sosa, la plus jolie de Mexico et l’une des plus anciennes d’Amérique latine. En cours de route, je fais un crochet par la Casa Azul… où une longue file attend à l’extérieur.
C’est dans cette pétulante maison bleue que Frida Kahlo est née, qu’elle a vécu près de 15 ans avec Diego Rivera et qu’elle s’est éteinte, en 1954. Outre les photos, les œuvres, les ateliers et le jardin foisonnant de végétation et d’art précolombien, la maison-musée comporte un cabinet de curiosités où les corsets et prothèses de Frida sont exposés. En plus d’évoquer ses souffrances, ces lugubres pièces d’exposition me rappellent l’origine de ses malheurs: un terrible accident d’autobus qui lui a broyé les os, face au marché de San Juan, alors qu’elle n’avait que 18 ans. Au terme de ma visite, en voilà bien assez pour me rappeler de demeurer prudent et vigilant, tandis que je remonte en selle: Mexico est peut-être récemment devenue plus vélotolérante, mais elle ne forme pas encore un havre cyclable…
Repères
Transporteur: Aeromexico (aeromexico.ca) relie Montréal à Mexico plusieurs fois par semaine, en vol direct, à l’année.
Sécurité: Bien qu’il faille demeurer prudent par endroits, Mexico n’est plus la ville dangereuse qu’elle était, et la criminalité y est en baisse. Dans les principaux quartiers, la présence d’auto-patrouilles – tous gyrophares allumés – est telle qu’on se sent la plupart du temps en confiance, même le soir.
Pour des itinéraires cyclables détaillés: routeyou.com et mapmyride.com/mx
Pour des circuits guidés (payants): toursbylocal.com
Pour des virées à vélo de montagne dans les environs de la ville: singletracks.com
Bici gratis: centrodecoyoacan.mx
Info: cdmxtravel.com et visitmexico.com