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Des nouvelles de Jonathan B. Roy, Hors-Québec

Quand le solitaire voyage en couple

27-04-2021

© Jonathan B. Roy

J’ai parcouru près de 40 000 km dans 40 pays. Un jour, ma dulcinée, qui s’est mise au cyclotourisme, m’a rejoint au Brésil pour vivre avec moi mes aventures. Regard sur une expérience où rien n’est prévu.

Voyager en solo, ça me connaît. C’est ce que je fais depuis quelques années dans mon tour du monde à vélo. J’ai néanmoins coordonné mes efforts à quelques reprises à ceux d’amis de longue date ou d’autres personnes rencontrées sur la route.

Mais ce qui m’attendait cette fois au sud du Brésil était tout nouveau: rouler plus d’un mois en compagnie de l’élue de mon cœur. Ensemble depuis quelques mois à peine, ce sera notre premier voyage en couple ainsi que sa première expérience de cyclotourisme. Et trouver un partenaire de vie ne signifie pas nécessairement qu’on a trouvé un partenaire de voyage. Quiconque a déjà trimballé une valise avec sa douce moitié pourra en attester: soit tout va bien, soit tout va mal… Il faut vouloir visiter les mêmes choses, à un rythme similaire, et s’entendre sur un budget. À vélo, il faut en outre partir à la même heure, rouler environ à la même vitesse, être en mesure de parcourir le même kilométrage, et transporter sa part de bagages.

Au fil des 1300 km à parcourir sur les routes brésiliennes et paraguayennes, nous découvrirons donc cette compatibilité. Dans la pluie et le vent, les montées et les coups de chaleur, les défaites et les victoires quotidiennes.

L’adaptation

J’ai parcouru toute la partie sud du Brésil pour aller à la rencontre de Gabrielle, qui arrivait par avion à Rio de Janeiro. Par manque de temps et pour éviter que je refasse la même route en sens inverse, notre première semaine a donc été composée de déplacements en autobus. De Rio, nous sommes revenus vers Ilhabela («la belle île», qui porte bien son nom), puis vers São Paulo, et ensuite vers Curitiba. Trois trajets qui m’ont rappelé pourquoi je voyageais à vélo. La lenteur du déplacement, l’indépendance et la fierté de parcourir les kilomètres à la force de mes jambes me manquaient.

À Curitiba, dans l’État du Paraná, nous avions tous les deux bien hâte d’enfourcher nos vélos plutôt que de les déposer dans des soutes. Notre circuit allait nous faire traverser ce territoire très agricole en direction du Paraguay, plus à l’ouest.

Pour ma bien-aimée, cette première sortie de ville est ardue. Conduire un vélo chargé de sacoches est exigeant, autant en raison de son poids que de sa largeur. Elle doit s’habituer à le guider et à jauger son passage entre les autos. Je me rends compte que je suis trop rapide, alors je l’attends.

Puis nous embarquons sur l’autoroute. Les longs camions de transport sont légion sur les quatre voies rapides. Heureusement, l’accotement est large et les longues montées et descentes permettent à ma compagne de prendre de l’aisance sur sa monture. Le bruit des trains routiers a beau être assourdissant, ça fait du bien de bouger et de forcer un peu physiquement.

Le soir venu, nous nous arrêtons dans un de ces endroits que je qualifie d’«hôtel de luxe», c’est-à-dire une station-service où l’on trouve des douches. Il y a même un restaurant, qui offre un unique plat du jour appelé «l’assiette exécutive»: du riz, des fèves, trois morceaux de verdure et un steak probablement découpé à même une selle de cheval. Un régal en comparaison de mes ramens habituels. Dans l’herbe adjacente au bâtiment, je trouve un endroit comportant le moins de déchets possible, et j’y installe la tente. Gabrielle s’assure qu’il n’y a pas de serpents, comme ceux que nous avons vus, décapités, sur la route toute la journée. Il n’y a pas à dire, je gâte ma blonde.

© Jonathan B. Roy

Le déluge

De fortes pluies nous accompagnent durant la semaine suivante. Du matin au soir, nous sommes enveloppés de nuages d’eau pendant que les semi-remorques nous dépassent dans de grosses rincées latérales.

Gabrielle m’avouera plus tard s’être demandé ce qu’elle faisait là. Mais elle persévère ; elle plisse les yeux et pousse sur ses pédales. Puis, rendue au bout du rouleau, ma douce crie vers le ciel le nom d’un objet sacré de l’Église, puissante invective qui nous sortira de cette tempête. Le soleil est de retour et une lourde vapeur monte de la végétation sud-américaine. Un grand amas de nuages d’un blanc immaculé se forme à l’horizon alors même que nous quittons l’autoroute pour une route provinciale moins fréquentée.

À vélo, chaque émotion étant décuplée, nous ressentons à ce moment un bonheur immense devant ce nouveau chapitre plus lumineux. Gabrielle comprend que c’est pour ces joies qu’elle s’est mise au cyclotourisme. «Je ne veux plus voyager par un autre moyen de transport à partir de maintenant», s’exclame-t-elle, ravie.

Le noir et le blanc

Les aventures cyclistes sont rarement de tout repos. «On en gagne, on en perd», me plais-je souvent à répéter.

Nous perdons certainement, le soir où nous nous arrêtons dans un hôtel de fortune. Le mercure ayant monté, nous accueillons avec joie la présence d’une douche et de la climatisation dans la petite chambre sans fenêtre. L’absence d’eau chaude nous aide à refroidir nos esprits, mais pas autant que l’air climatisé qui coule à grands flots à même le plancher de la chambre. Apparemment, personne ne leur avait mentionné qu’il fallait diriger le tuyau d’eau vers l’extérieur des murs. Souhaitant éviter l’inondation, nous en serons quittes pour un simple ventilateur dans une autre chambre tout aussi médiocre.

Cela dit, la palme de la pire chambre reviendra, quelques semaines plus tard, à un hôtel paraguayen tellement infesté de maringouins, de mouches, de fourmis et de coquerelles que nous avons décidé d’installer la tente directement sur le matelas à deux places. Bien qu’elle dépassait un peu de son socle, notre forteresse de nylon nous a menés de l’autre côté de la nuit sans piqûres.

© Jonathan B. Roy

Les rencontres

Nous avons peut-être «perdu» souvent en matière d’hôtels ou d’emplacements de camping, mais nous avons aussi «gagné» de belles rencontres.

Il est vrai que les échanges avec les locaux peuvent se faire plus rares lorsqu’on voyage à deux. Le fait de parler français entre nous peut décourager quelqu’un de nous aborder. Aussi, être deux représente un coût supplémentaire pour un hôte moins fortuné qui voudrait nous inviter à manger. Mais je réalise aussi que les gens restent curieux et que nous devons simplement être plus proactifs.

C’est ce qui se passe à la sortie d’un village, au moment où nous passons devant un accordéoniste assis sous le porche d’une maison. Il joue fort, avec entrain, et je décide de tourner immédiatement dans son entrée pour aller lui parler. Entre deux chansons dont il improvise les paroles, il nous raconte être marié depuis presque 50 ans et avoir plus de 15 petits-enfants et 5 arrière-petits-enfants, tout ça à seulement 67 ans! Il paraît aussi que Dieu lui aurait annoncé notre visite… Le repas est donc déjà prêt, et il ne reste plus qu’à le suivre à la cuisine.

La maison tout en bois manque de vernis. C’est sale et encombré, ce qui n’est pas surprenant considérant que la moitié des fenêtres n’ont pas de carreaux. Les plats sont bosselés et portent les marques de couteaux de plusieurs décennies. Ici, tout ressemble à un magasin d’antiquités ou à une maison d’un village d’antan. Mais le poulet mijoté en sauce rouge, les pâtes, les fèves et le riz préparés par son épouse sont exquis.

Nous passons ensuite un peu de temps sur sa galerie arrière, avec une limonade et des raisins provenant des vignes qu’il a lui-même plantées. Cette rencontre familiale, typique des voyages cyclistes, est agréable et empreinte de générosité. Nous en garderons un souvenir plus durable que celui du plus beau des paysages. D’autant plus que je le partage cette fois avec quelqu’un.

L’évolution

Continuant notre route vers l’ouest, nous irons voir les fameuses chutes d’Iguazú avant de traverser au Paraguay. La dernière dizaine de jours se passera à suivre la route principale jusqu’à Asunción, la capitale.

Puisque nous sommes maintenant plusieurs centaines de mètres plus bas en altitude que les montagnes du Paraná, le mercure chatouille les 40 degrés. Bien que la route soit plate comme une crêpe, certaines sections s’avèrent assez dangereuses, compte tenu de la circulation et de l’absence d’accotement.

De nombreuses carcasses d’animaux sont visibles sur le bitume, aucune n’ayant été ramassée et envoyée vers une meilleure sépulture. Nous identifions entre autres plusieurs tatous et iguanes, longs de plus d’un mètre. Mais après plus d’un mois à vélo, ce n’est plus une vieille peau de reptile gisant sur le sol qui fera peur à Gabrielle. Elle accepte même ma proposition d’aller cogner à la porte d’une caserne de pompiers paraguayens afin de quémander une douche et un endroit où poser notre tente.

© Jonathan B. Roy

À la prochaine !

Durant ces semaines à vivre le quotidien à deux, j’ai parfois constaté que ma patience était moins grande que d’habitude. En fait, la présence d’une autre personne peut simplement nous faire mieux prendre conscience de nos émotions, causées par la fatigue ou le stress. Seul, on est davantage dans sa tête.

Contrairement à la maison, il n’y a pas non plus beaucoup d’endroits où trouver refuge. C’est pourquoi nous avons souvent roulé de façon indépendante, quoique jamais bien éloignés l’un de l’autre. Cela exerce en même temps moins de pression pour avancer exactement au même rythme.

Ce que j’ai surtout constaté, c’est à quel point j’ai adoré vivre ces aventures avec une personne chère. À mesure que les histoires s’enfilaient, je nous voyais nous remémorer tous ces souvenirs.

De son côté, Gabrielle a eu la piqûre du cyclotourisme. Nous parlons déjà de la prochaine fois où nous monterons notre tente ensemble. Avec un peu de chance, ce ne sera pas sur le lit d’un hôtel rempli d’insectes…

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