Avant de faire souffrir nos pneus, les pavés des cités portugaises ont malmené les pérégrinations de Romains, de Maures et de quelques preux chevaliers. Un périple cycliste dans l’Alentejo, au Portugal, risque fort de titiller votre curiosité tant l’histoire a marqué les lieux.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à Évora, l’excursion entre dans le vif du sujet. Nous sommes «au-dessous du Tage», comme l’indique si bien le nom de la région, Alentejo, à quelque 150 km de Lisbonne. Le chef-lieu s’honore d’être inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, et ce n’est pas sans raison.
Nous délaissons notre vélo et parcourons à pied les ruelles biscornues du centre historique, sans omettre d’admirer les colonnes du temple romain. En fait, des Romains et des Arabes jusqu’aux chevaliers chrétiens et aux stricts jésuites en passant par les Wisigoths, chacun a apporté sa pierre à l’édification de la cité; cela se sent dès la première montée en selle. De robustes pavés couvrent les rues de la plupart des centres-villes portugais, Évora y compris. Le cachet est indéniable… et l’inconfort des cyclistes pareillement !
Une fois qu’on est sorti de la ville, cet inconfort trépidant s’oublie vite tant les routes sont tranquilles. Comme l’été a été sec et chaud, la sécheresse s’est établie à demeure en septembre, jaunissant tout ce qui pouvait l’être. Il y a néanmoins quelques résistants, que nous rencontrerons sur l’étroite route en direction d’Estremoz. Le chêne-liège ne passe pas inaperçu; son haut tronc et ses feuilles persistantes d’un vert affirmé détonnent dans le ton ocre primant en saison estivale.
L’étape subséquente nous emmène jusqu’à Portalegre. Sur le chemin, à Monforte, les oliviers concurrencent les chênes-lièges, puis l’œil porte loin sur un paysage délicatement vallonné, à peine perturbé par le sillon bleu de la route. La terre est sèche. Seuls quelques arbres et pierres graniteuses viennent jouer dans la palette de couleurs uniformes.
À l’ombre de remparts
Portalegre est la porte d’entrée de la Serra de São Mamede, un massif montagneux sillonné de routes sinueuses. Une chapelle haut placée jouit d’une magnifique perspective sur la ville. Je ne sais pas si c’est l’altitude ou les forêts traversées, mais l’air s’est rafraîchi. Des châtaigniers, des amandiers, quelques oliviers nous protègent contre les ardeurs du soleil, tandis que les eucalyptus chatouillent notre odorat. Le château de Marvão est discret, même s’il est installé tel un nid d’aigle et domine la région; ses pierres se mélangent aux rochers de la montagne. Nous posons le vélo et visitons la forteresse. Juste à l’entrée, une citerne immense pouvait recueillir suffisamment d’eau pour tenir au moins six mois; on ne sait jamais, un siège est si vite arrivé. En faisant le tour du chemin de ronde, des guérites, de la place d’armes, du donjon, on saisit parfaitement les nécessités guerrières de l’endroit. Dans le lointain, on voit les villes espagnoles de Valencia de Alcántara et Cáceres.
Descendre presque jusqu’à Martinchel en traversant les villages endormis, se faire surprendre par la dernière montée abrupte à travers la forêt d’eucalyptus, pédaler jusqu’à Tomar et enfin apercevoir le Convento de Cristo qui se dresse au-dessus de la ville, voilà ce qui vous attend dans les prochaines étapes. À l’hôtel de Tomar, peut-être aurez-vous la chance, comme nous, de discuter avec les congressistes de l’Ordre des templiers du XXIe siècle. Cette discussion informelle complétera utilement la visite du spectaculaire ancien couvent; vous comprendrez ainsi mieux les héritages de cette étrange milice du Christ.
En quittant Tomar, allez jeter un coup d’œil sur l’aqueduc des Pegões. Long de 6 km, il fut construit au XVIe siècle dans le but d’approvisionner le couvent en eau. Soyez assuré que si toutes nos infrastructures étaient aussi élégantes, il ne serait pas utile de les enterrer.
Un peu plus loin, vous travaillerez votre génuflexion dans la basilique de la Sainte Trinité, à Fátima. La localité doit sa vitalité à une apparition de la Vierge à trois jeunes bergers du coin, en 1917. La mère de Jésus ne se contentera pas de dénoncer la guerre en cours : elle annoncera la révolution bolchevique.
Chêne-liège : le secret est dans l’écorce
Les racines profondes et les feuilles qui referment leurs pores en période estivale rendent le chêne-liège capable de résister aux chaleurs méditerranéennes, et l’écorce de liège y contribue aussi largement, ses propriétés imperméables et isolantes favorisant la conservation de l’humidité. Le liège peut même suffisamment isoler les branches pour qu’elles arrivent à bourgeonner après un incendie. À la fin du printemps et en été, c’est le moment de la récolte du liège. Cela ne blesse pas l’arbre et permet à une nouvelle couche de liège de pousser. Le Portugal fournit 200 000 tonnes de liège, soit la moitié de la production mondiale. Un tiers de cette production sert à la fabrication de bouchons. À ceux qui se demandent si l’utilisation des bouchons de liège est écologique, mentionnons que la fabrication d’un obturateur de plastique produit 10 fois plus d’émission de CO2 qu’un bouchon de liège, et celle d’une capsule d’aluminium, 24 fois plus
Saveurs océanes
Les étapes suivantes se rapprochent de l’Atlantique et des riches traditions maritimes du Portugal. Vous en aurez un avantgoût du côté des salines de Rio Maior. On est à une trentaine de kilomètres de l’océan, cependant des poches de sel datant du paléolithique alimentent les eaux souterraines; celles-ci ont une teneur en sel sept fois plus élevée que l’eau de mer, au bénéfice des sauniers qui récoltent au-delà de 2000 tonnes de sel par année.
La ville d’Óbidos, à défaut d’être sur des hauteurs, est ceinte de murailles ayant contribué à la défendre mais qui n’arrêtent pas, au contraire, l’invasion des touristes venus sillonner ses venelles pavées…
L’air du large vous fera facilement oublier cette fort active fréquentation touristique. Sur le littoral, deux presqu’îles sont en vue : celle de Baleal, toute petite, à laquelle on accède par un mince cordon de sable, et dont le minuscule village est accroché à un piton rocheux, et celle de Peniche, plus grande, du côté du phare de cap Carvoeiro, dont l’avancée vers l’océan et les curieuses formes géologiques sont impressionnantes.
Vous frôlerez ensuite l’Atlantique, le plus souvent en le regardant de haut. Les rivages de ce coin de pays sont tumultueux. Les vagues, rondes et écumantes, se gonflent au large avant d’éclater à proximité de la côte. C’est le paradis des surfeurs, un peu moins celui des baigneurs! Les courants sont puissants; soyez aux aguets afin de ne pas être emporté par le ressac. C’est également le paradis des cyclistes, le relief présentant quelques bons dénivelés, offrant des paysages hors de l’ordinaire. Avant de nous diriger vers le labyrinthe de Sintra à flanc de montagne, nous longeons la Praia Grande en espérant que s’y déroule une compétition de surf, puis pédalons jusqu’au Cabo da Roca. Le lieu a des allures de cap Horn, et ce n’est pas pour rien: c’est le point le plus occidental du continent européen, et ses falaises surplombent de 140 m les vagues écumeuses. Un conseil: ne lâchez pas votre guidon, les vents sont violents !
Pour gagner Sintra à partir de Praia das Maçãs, ne vous privez pas, moyennant trois modestes euros, de sauter dans le cliquetant tramway. La ligne, une vieille voie étroite, date de 1904, et le tram semble d’époque. C’est une gang de passionnés d’histoire ferroviaire qui la gère. Ils conduisent debout, maîtrisant la bête de ferraille des pieds et des mains. De temps en temps, ils descendent du poste de pilotage et reconnectent le pantographe. L’expérience est à vivre, surtout que la route qui rejoint Sintra est étroite et très fréquentée.
Repères
Le vélo
Pensez confort, pas nécessairement à cause de la longueur des étapes mais plutôt des secteurs pavés très présents dans les villes. En outre, oubliez les pneus de 23 po au profit des 28 po et plus, par souci de confort et de ne pas jouer trop du démonte-pneu. Côté transmission, une cassette aux dents nombreuses ou un pédalier compact sont de bonnes options en raison des côtes certes courtes mais pentues.
Les étapes
Entre 50 et 105 km, avec des dénivelés positifs allant jusqu’à 1500 m.
Les livres
• Relevé de terre, de José Saramago, aux Éditions du Seuil. L’écrivain raconte la vie de trois générations de paysans de l’Alentejo. Du début du XXe siècle à la révolution des œillets en 1974, la vie n’est pas facile dans cette âpre région du Portugal bien loin de la dynamique Lisbonne.
• Le Routard – Portugal 2018, publié par Hachette Tourisme. Assez complet; on aime les coups de cœur et la carte de Lisbonne en prime.
La musique
Le fado est la voix du Portugal, à la fois tragique et sensuelle. C’est la parole des marins, des ouvriers, des paysans et de la propagande nationaliste. Le fado chante le destin souvent triste, l’espoir accompagné à la guitare. Amália Rodrigues est à juste titre considérée comme sa reine. Ayant environ 170 disques à son actif, elle a fait connaître cette tradition portugaise à travers le monde.
Merci spécial
À André le boute-en-train, Luc la locomotive du train, Richard petit train va loin, Linda la prévenante et Gabrielle mademoiselle sourire
De Sintra à Lisbonne
Sintra est singulière. Reconnue pour son patrimoine par l’UNESCO, la station balnéaire est un mélange farfelu de styles différents. Les quintas, en quelque sorte les domaines des gens fortunés, naviguent entre des touches néogothiques, Renaissance, mauresques, voire mongoles. Chacun y est allé de ses goûts et couleurs sans trop s’occuper d’unité ni de fluidifier la circulation.
Nous rallions Lisbonne vent dans le dos, principalement au bord de l’océan, la fréquentation des plages augmentant graduellement. On entre dans l’estuaire du Tage. La route laisse place à une piste cyclable large et peu passante. Au loin, le ponte 25 Abril donne à la cité lusitanienne des airs de San Francisco. Une fois au pied du Padrão dos Descobrimentos (Monument aux Découvertes), qui tourne résolument sa proue vers la mer, nous mettons le cap sur le cœur de la ville aux sept collines. Bienvenue dans l’effervescente Lisbonne.
L’auteur s’est joint à un groupe de Vélo Québec Voyages.
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