Après avoir traversé près de la moitié de la France le long du Chemin du français, on arrive à Saint-Jean Pied de Port au pied des Pyrénées. Le voyage se transforme à l’instant. Apparaît alors sur le Chemin, une quantité de pèlerins anglo-saxons et asiatiques. L’Espagne prend alors en charge son Camino pour faciliter la vie du pèlerin: cartes, listes d’auberges, conseils. Un peu comme la douane américaine à Dorval, mais ici non pas pour accéder au Graal de l’Oncle Sam, mais pour gentiment nous faciliter la route vers les reliques de l’apôtre. Puis on entame le fameux col de Roncevaux. L’ histoire nous rattrape. Notre pensée s’évade en l’an 778, quand Rolland (la chanson) au service de Charlemagne perdit la vie lors d’une embuscade des basques, revenant d’une incursion contre les Maures en Espagne.
J’amorce le col en solitaire. Devant moi un cycliste que je ne peux voir tant sa charge arrière, sacoches, équipement et…sac à dos est imposante. Je le rejoins et arrête avec lui. Il est allemand, s’appelle Dirk et a 45 ans. C’est mon 5e voyage cyclo en Europe ces dernières années. Je croise ou rejoins surtout des cyclos allemands, dont la caractéristique est d’être…mal organisés. L’allemand n’est pas comme le québécois, il aime travailler fort même très fort, efficience connaît pas. Test ultime, je suis incapable de lever son vélo! Inutile de leur expliquer comment faire… ils sont têtus. Mais celui-ci dépasse tous les autres avec sa charge d’Hercule!
Nous entamons le col. Les premiers lacets sont impitoyables. Je me retourne au bout de 500 mètres et Dirk a disparu! J’ai un pincement de coeur pour lui. C’est comme s’il était descendu en enfer!
Devant moi un autre cycliste presque sans bagage. Un pèlerin australien bien rondelet, mais certainement courageux …qui cherche un café à prendre. On s’arrête dans un virage. Belle conversation, j’ apprends que ses bagages sont transportés. Puis je suis déjà fébrile au bar avec le tenancier, quel bonheur d’être en Espagne!
Durant les prochaines heures, je ferai l’ascension seule, vent contraire, sous la canopée de l’automne pyrénéen. Intense, mais magnifique. J’arrive à Pamplona en fin d’après-midi à la suite d’autres ascensions.
Le lendemain je démarre de Pamplona en début d’après-midi. À la sortie de la ville, surprise! Dirk réapparaît, il roule depuis les Pyrénées au petit matin. Je soupçonne les Allemands de ne pas vouloir abandonner la route, de peur de se perdre dans les cafés, bars et restos comme nous… les Québécois. Dirk bien pourvu de cartes, portables en ligne et guides, aurait pu m’être utile. Mais il disparaît vite derrière moi. Aux prises avec un carrefour autoroutier, une jeune espagnole marche 2km avec moi, traverse un mariage de gitan, pour finalement m’indiquer le chemin à prendre. Après-midi magique d’un village pittoresque à l’autre comme Puente la Reina, mais aussi agrémenté de belles côtes.
Au sortir d’un resto, le lendemain, en pleine Navarra, je recroise Dirk à nouveau sur la rue. Évidemment il a roulé ce matin -là à la pluie et au vent alors que je me prélassais dans un café.
Trop content, je l’invite pour une bière! Je passerai les prochaines heures avec lui. Dirk est un pur produit de l’ex-RDA. Il parle un anglais hésitant et très cassé, mais avec une confiance en béton. Il ne s’est pas entraîné pour cette épreuve. C’est un ingénieur en télécom qui a bien connu la Stasi et se méfie donc comme la peste des réseaux sociaux. Rien ne le définit mieux que cette phrase lapidaire « I make a call, not chat ».
On aura passé un moment parfait et suave dans ce resto café d’Estella, alors que la jeune serveuse dominicaine se pliait volontiers à ma demande de faire entendre du Juan Luis Guerra. On se sera rappelé « le bon vieux temps du bloc socialiste ». À la sortie, un autre immigrant dominicain vient me serrer la main chaleureusement pour lui avoir fait vivre ces moments de nostalgie.
Je cherchais à connaître la quête de Dirk sur le Camino. Mon ours allemand mal léché ne laisse pas facilement tomber le morceau. On se reprend plus tard pour le repas du soir dans un resto où la télé diffusait la corrida du jour au bénéfice d’un attroupement d’hommes d’âge mûr à ne pas déranger… Dirk va finalement m’avouer qu’il a laissé sa femme et ses 3 filles de 17 ans (triplettes) pour trouver les forces à affronter un grave problème avec sa belle famille. Mais lequel?
Sa description de ses journées est sans équivoque. « You climb as you can, you die. Then its ok you go down ». Aucun épanchement.
Par la suite je l’aide à trouver la poste. Mais c’est dimanche. Demain il va s’alléger et poster un gros paquet chez lui. Puis on s’échange nos adresses courriels.
Après l’avoir devancé plusieurs jours, à force de travail Dirk finit par me devancer. Il m’envoie depuis un état détaillé des embûches et raccourcis sur le Camino, dans l’espoir qu’on puisse rouler ensemble.
Mais voici que par pur hasard, je le croise à pied de nouveau au marché de Leon. Il réside dans un hôtel avec spa et piscine, car il dit maintenant qu’il faut dans la vie se payer des petites douceurs. Pendant ce temps, moi je suis dans une véritable caserne d’armée tenue par des religieuses (infestée de…punaises de lit) avec Olaf un autre cycliste allemand avec lequel je partage la route depuis 3 jours. Cyclotouriste non conventionnel avec budget très austère, Olaf est puissant et sympa. Il sourit d’abord à la vue de Dirk « Real german from DDR ».
Au repas ce soir là, je n’arriverai pas plus à percer le secret de Dirk. Ce matin par courriel je recevais de Dirk le pronostic de la journée vers Ponferrada: côtes, travaux sur la chaussée, intersections problématiques etc. Mais le lièvre ne peut cheminer avec la tortue.
Gageons qu’avec son pantzer, la tortue arrivera au but avant le lièvre? Car il est 13h30 et je suis encore là à vous écrire après avoir déambulé dans Astorga alors que Dirk est sur le Camino depuis l’aube . Surtout, Dirk s’allège chaque jour sur le Camino…(c’est lui sur la photo à la sortie de Pamplona).
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