En profitant d’un nouveau service de transport de bagages, il est plus facile que jamais de se faire sa propre idée de la Côte-Nord et de sa Véloroute des baleines. Verdict.
« L’été sur la Côte-Nord dure deux semaines, vaut mieux ne pas le manquer. » « Prendre des vacances sur la Côte-Nord ? Jamais de la vie ! À part des épinettes, y a rien à voir. » « La Côte- Nord, c’est loin et isolé de tout. Un vrai cul-de-sac. » Ces petites phrases assassines sur la deuxième plus grande région du Québec sont authentiques ; on me les a souvent balancées au visage au fil des années, élevées au rang de vérités vraies. Elles relèvent pourtant des idées reçues, de ces poncifs éculés qu’on (se) répète ad nauseam jusqu’à y croire dur comme fer, même si ça sent le réchauffé. Plus important encore, elles sont injustes envers l’interlocuteur qui, face à ce mépris ordinaire, se voit dépossédé de son droit de se forger une opinion sur ce coin de pays. C’était mon cas ; j’ai longtemps boudé la Côte-Nord, refroidi par de tels commentaires. À tort ou à raison ? Impossible à dire.
Jusqu’à l’année dernière. Au début de 2020, la région a complètement revampé sa carte vélo de la Véloroute des baleines, qui court de Tadoussac jusqu’à Baie-Trinité, sur près de 300 km. Cette mise à jour nous apprend ainsi que plus de 90 % de l’itinéraire est doté d’un accotement d’au moins un mètre et que trois boucles interrives sont possibles grâce aux traverses de Trois-Pistoles– Les Escoumins, Rimouski–Forestville et Matane–Baie-Comeau–Godbout.
Du même souffle, la Corporation de la Véloroute des baleines, responsable de la promotion et du développement de ladite Véloroute, a annoncé la mise sur pied d’un service payant de transport de bagages. Il est comparable à celui offert depuis plusieurs années déjà par la Véloroute des bleuets : le cycliste laisse son paquetage à son hôtel le matin avant de partir rouler sa journée. Entre-temps, ses trucs sont transportés jusqu’à son prochain point de chute, où il les retrouve le soir venu. Le gros luxe, quoi, dont on peut profiter dans les deux directions.
« Les cyclotouristes peuvent ainsi explorer la Côte-Nord en formule légère, sans s’encombrer de lourds bagages. C’est un service qui répond à des besoins qui nous ont été maintes fois formulés », m’a expliqué Denis Villeneuve, directeur général de la Corporation, lorsque je l’ai contacté afin de lui manifester mon intérêt de mettre à l’épreuve la formule pour Vélo Mag. Ce faisant, j’allais me forger une opinion éclairée sur la Côte-Nord. Enfin.
Vent arrière
Je largue les amarres pour mon périple de quatre jours un vendredi du début août. Le détail n’est pas anodin : le nouveau service de transport a d’abord été offert sous forme de projet pilote sur quelques longues fins de semaine ciblées – il sera de nouveau offert cette saison en juillet et août. Ce jour-là, j’ai donc rendez-vous à Tadoussac avec le secrétaire de la Corporation, Alain Bouchard, qui récupère mes bagages… et ma voiture. Pandémie oblige, les autobus Intercar qui auraient dû me ramener à mon point de départ en fin d’équipée sont à l’arrêt, de là ce plan B. « On va faire attention », me promet-il lorsque je lui confie mes clés pour m’enfiler un peu plus de 100 km avec un léger vent dominant dans le dos.
La crise sanitaire a aussi généré en région un afflux de touristes québécois écoeurés de « covider urbain ». La porte d’entrée de la Côte-Nord n’y échappe pas ; se procurer un croissant dans le village de 800 âmes relève de l’exploit, et gare à vos fesses si, comme moi, vous vous aventurez sur la 138 à la sortie du traversier. Faites plutôt un détour par les dunes de Tadoussac, de véritables congères sédimentaires auxquelles on accède par un chemin dérobé qui reconnecte plus loin avec la route. Unique en son genre, ce site pourrait faire partie d’un parc de la Sépaq – des discussions sont actuellement menées à ce sujet.
Dans les heures suivantes, tout comme le lendemain pour une autre journée d’environ 100 km, je multiplierai ces incursions en marge de mon itinéraire principal sur la 138. C’est entre autres le cas aux Bergeronnes, un hameau typique de la Haute-Côte-Nord, à Colombier, dont l’économie locale se base sur l’exploitation de tourbières, et au vieux quai de Ragueneau, où on trouve d’improbables dinosaures sur le bord de l’eau depuis 1994. Manifestement, Jurassic Park (1993) n’aura pas qu’engendré des passions pour la paléontologie. De fait, ces détours et arrêts sont le sel d’une virée sur deux roues sur la Côte-Nord qui, autrement, serait monotone.
C’est que la route 138, deuxième plus longue route au Québec après la 132, est avant tout fonctionnelle. Linéaire, lisse et au relief plutôt doux, elle se bâtit par phases depuis le siècle dernier. Aujourd’hui, elle irrigue une trentaine de communautés nord-côtières. Résultat : il y a passablement de trafic sur ce qui est en fait une ligne de vie ; toute la nourriture y transite, le moindre sac de chips inclus.
Bien qu’elle épouse les rives du Saint- Laurent – les bouffées d’air salin que j’inhale ici et là, comme à Longue-Rive et Portneuf-sur- Mer, me le rappellent –, la Route des baleines met bien peu l’estuaire en vedette finalement. Souvent, je me retrouve à tirer de longs bouts droits entre deux rangées de résineux. Pour avoir un accès aménagé près de la mer, il faut sortir du parcours pour aller au Centre d’interprétation et d’observation de Cap-de-Bon-Désir, un site lié au parc marin du Saguenay–Saint-Laurent qui est, hélas, payant. Il existe aussi l’autre option de planter sa toile dans un des campings de Bergeronnes qui surplombent la mer.
Changer d’air
La route 138 s’offre une vue sur l’estuaire à l’approche de la péninsule de Manicouagan, juste avant Baie-Comeau. La forêt boréale s’estompe alors, faisant place à des perspectives formidables sur ce gigantesque morceau de terre qui s’avance dans le fleuve. Bordé par les rivières aux Outardes et Manicouagan, toutes deux harnachées, il a de quoi intriguer. On y trouve notamment 30 km de plages de sable fin, un parc naturel protégé où il est possible de passer la nuit dans un nichoir géant (!), ainsi que plusieurs entreprises agricoles, comme Aux Jardins des Prés, où on offre l’autocueillette de petits fruits nordiques.
Surtout, une route peu achalandée et parsemée de haltes panoramiques ceinture la péninsule, reliant entre eux les villages de Chute-aux-Outardes, Pointe-aux-Outardes et Pointe-Lebel. Enfin, presque ; il manque un segment d’environ 5 km pour que les automobilistes puissent en faire le tour complet, entre les secteurs Baie-Saint-Ludger et Pointe-Paradis. Les cyclistes n’ont toutefois plus ce problème depuis 2017, puisqu’une piste cyclable en poussière de roche a été aménagée sur cette portion. Grâce à elle, il est possible de réaliser une fort sympathique randonnée de 55 km autour de la péninsule. On peut aussi s’élancer de Baie-Comeau, situé tout près.
C’est ce que je fais à la pénultième journée de mon périple. Denis Villeneuve me sert alors de guide. Le directeur de la Corporation de la Véloroute des baleines connaît bien le dossier de la piste cyclable ; il l’a piloté. « Le noeud du problème, c’était la rivière Saint-Athanase, qu’il fallait enjamber. Nous avons finalement décidé d’aménager une passerelle », me raconte-t-il alors que nous traversons l’ouvrage. Le passage du pont couvert Émile-Lapointe et un arrêt sur la plage Pointe-Paradis figurent parmi les autres moments forts de l’excursion. « Avec l’érosion des berges, la péninsule recule de plusieurs mètres par année. C’est manifeste », indique celui qui est natif de la région. La faute, semble-t-il, à l’absence de couvert de glace qui la protégeait jadis des grandes tempêtes hivernales.
Sans le savoir, je me suis cependant gardé le meilleur pour la fin. Au quatrième et dernier jour de ma saucette sur la Côte- Nord, je m’extirpe des bras de Morphée dès potron-minet pour renouer avec la 138, qui prend des allures de montagnes russes au-delà de Baie-Comeau. Ce matin-là, un épais brouillard recouvre le fleuve. Mais je m’extirpe de celui-ci aussitôt que je prends un peu d’altitude, me donnant l’impression de littéralement pédaler au-dessus des nuages. Qui plus est, la circulation est peu abondante sur ce tronçon à cette heure.
Moins de 20 km – et 300 m de dénivelé positif – plus tard, j’atteins le belvédère du fjard (oui, oui, fjard !) Saint-Pancrace, lequel surplombe l’anse du même nom. Prisée à la fois par les contrebandiers à l’époque de la prohibition et par les plaisanciers qui la fréquentent aujourd’hui, cette baie aux parois vertigineuses constitue la fin symbolique de ma 138. Faute de temps, je ne pousserai pas jusqu’à Baie-Trinité. Dommage, car la Véloroute des baleines n’est jamais aussi belle qu’à cette hauteur, en pleine réserve mondiale de la biosphère Manicouagan-Uapishka. Il va manifestement falloir que je revienne. Côte-Nord, ce n’est qu’un au revoir. Ce voyage a été réalisé grâce au soutien de Tourisme Côte-Nord.
Repères
• Kiboikoi : Une ambiance un tantinet bohème anime ce sympathique café-bar culturel des Escoumins. On y commande café, boustifaille et bière de microbrasserie qu’on déguste préférablement attablé devant le commerce. Simple et convivial.
• Confiserie boréale : Il faut s’arrêter dans cette petite boutique de Colombier, véritable caverne d’Ali Baba où se procurer des confiseries faites à partir de petits fruits nord-côtiers, comme l’airelle rouge et la baie d’argousier. Entre de vulgaires Cherry Blossom et les cerises chocolatées croquantes de Michèle, il y a un monde.
• Hôtel Le Manoir : Ce quatre étoiles est en fait le premier établissement permanent de Baie-Comeau, et ça paraît. Outre sa localisation parfaite au coeur du quartier historique de la ville, ce bâtiment de style colonial français a su garder son cachet malgré ses réfections. On aime son bistro, La Marée haute, dont la terrasse sublime donne sur la baie Comeau. Certifié Bienvenue cyclistes !