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Québec

Îles de la Madeleine • Le vent du bon côté

14-08-2017

«Bienvenue à bord ! À partir de maintenant, nous fonctionnons à l’heure des Îles. Ajustez votre montre, parce qu’on ne vous attendra pas si vous manquez le bateau ! » me lance une dame à la réception du navire de croisière Vacancier de la Coopérative de transport maritime et aérien (CTMA). Le ton est donné : pendant la prochaine semaine, je vivrai ce que la brochure de cette société des Îles-de-la-Madeleine décrit comme une « expérience 100 % madelinienne », accent, repas et divertissements inclus.

Je voyagerai donc sur le fleuve Saint-Laurent à destination de l’archipel en forme d’hameçon abritant 12 300 habitants. Une fois accosté, j’enfourcherai mon vélo afin de sillonner les 200 km2 d’un territoire réputé pour la régularité et l’intensité de ses vents – de 17 km/h à ­40 km/h en moyenne, semble-t-il. Puis, après un séjour de trois jours, le navire d’une capacité de 450 passagers rebroussera chemin jusqu’à son lieu de départ, Montréal, en faisant toutefois escale à Chandler, en Gaspésie, ainsi qu’à Québec.

C’est un départ
C’est d’ailleurs de la Vieille Capitale que je choisis d’amorcer mon périple. Ce faisant, je côtoie les passagers du voyage précédent qui débarqueront dans la métropole le lendemain matin, aux aurores, pour mieux faire place à une nouvelle cohorte. Dès lors, un constat s’impose : moi et mes 25 ans bien sonnés contrastons fortement avec le profil type du croisiériste sur le Vacancier, « une femme québécoise de 55 ans et plus accompagnée de son mari », m’expliquera-t-on plus tard.
Second constat : rares sont les cyclistes qui optent pour le forfait Vélo & Plein air – à peine une quinzaine lors de mon passage. Pourtant, la formule En toute liberté est alléchante : le cycliste y est maître de son temps, les itinéraires n’étant que suggérés, ce qui lui permet d’explorer les îles de la Madeleine à sa guise. Un service de dépannage est offert le long des circuits proposés, tout comme un autre de transport en autocar en fin ou en début de journée, question de mieux composer avec les caprices d’Éole. Les repas du midi sont servis sous forme de pique-nique à emporter. En un mot comme en mille : du gros luxe.

Terre !
Après une traversée ponctuée de paysages spectaculaires, nous voici aux Îles – enfin ! C’est qu’à force de se les imaginer, elles acquièrent un caractère mythique ; on s’y projette au guidon de sa bécane, perdu entre terre et mer, les poumons remplis de cet air pur et frais dont les insulaires ne cessent de vanter les qualités. Dès qu’on pointe le bout du casque sur le quai de Cap-aux-Meules, où le Vacancier s’amarre pour la semaine, on comprend vite que le vent, lui, n’est pas un mythe !

En ce premier matin, le plan est d’aller explorer l’île du Havre Aubert, à l’extrémité ouest de l’archipel. Comme les vents ne sont pas favorables, une navette opérée par la boutique Le Pédalier – pourvoyeur de services pour le forfait Vélo & Plein air – nous conduit directement au site historique de La Grave (de « grève », plage de galets). Le plan : revenir en sens inverse vent arrière (vent qui pousse de dos).

Pour ma part, j’opte pour un autre scénario : effectuer l’aller-retour d’environ 80 km entre l’île centrale du Cap aux Meules et l’île du Havre Aubert. Quel défi ! Sur les 13 km de la dune (mince cordon de buttes et de vallons sablonneux) qui relie ces deux îles, le vent de trois-quarts de face est impitoyable. La respiration s’accélère et les jambes brûlent ; le combat est âpre. Autre chose qui brûle : mes mains qui tiennent fort, fort, fort le guidon. Un conseil : on laisse les roues semi-profilées à la maison, sous peine de débarque monumentale. Ça vaudra mieux.

Heureusement, l’île du Havre Aubert est la plus boisée de l’archipel, ce qui me laisse souffler. J’en profite pour me diriger vers le village de Bassin afin de faire le tour de la Montagne, une butte arrondie où se concentre le rare dénivelé des Îles. Chemin faisant, je croise plusieurs chemins de terre battue et de gravelle. Je ne m’y aventure cependant pas, faute de vélo adapté. Dommage : ici comme ailleurs sur l’archipel, le réseau de chemins de traverse semble si bien développé…

Je me console par un arrêt aux cafés, galeries d’art et boutiques de La Grave, l’ancien port d’entrée des Îles situé dans le village de Havre-Aubert. Et j’oublie complètement ma déception pendant mon retour vers Cap-aux-Meules, vent dans le dos : je frôle des vitesses dignes d’une arrivée du Tour de France. Sans blague.

L’est des Îles
Le lendemain, je renoue avec les vents favorables afin d’explorer la partie est des Îles, où se trouvent quatre des six îles principales : du Havre aux Maisons, aux Loups, La Grosse Île et de la Grande Entrée. L’itinéraire à partir du port de Cap-aux-Meules est d’une soixantaine de kilomètres et, à moins de se sentir particulièrement en jambes (ou masochiste), le retour au point de départ se fait par la navette.

Peu avant mon départ du Vacancier, je croise Jean Harvey et ­Madeleine Burquel, un couple de cyclistes de Québec. Jean me raconte alors avoir été victime, la veille, d’une vilaine chute à vélo – si vilaine qu’elle l’a plongé dans un bref coma. « Eh bien, figure-toi donc qu’en l’espace de 30 secondes, un attroupement d’au moins dix Madelinots s’est formé pour nous aider ! » relate Madeleine.

L’histoire ne s’arrête pas là. Accueilli chez un habitant de la place, Jean a été transporté par ce dernier à l’hôpital de l’Archipel (le seul des Îles), où il n’a pas attendu une seule seconde – chose rare au Québec. Si bien qu’au bout de trois petites heures, il obtenait son congé de l’hosto. La meilleure ? « Il était dix heures du soir, et nous n’avions pas encore soupé. La réception de l’hôpital a donc téléphoné
à un restaurant situé tout proche. Résultat : les restaurateurs nous ont accommodés, et ce, malgré qu’ils étaient techniquement fermés ! »
s’exclame Jean.

Si vous aviez encore des doutes sur l’hospitalité madelinienne, j’espère qu’ils sont dorénavant dissipés. Après tout, n’y a-t-il pas aux Îles un dicton qui dit : « On n’a pas l’heure, mais on a le temps » ?

Le temps, il s’égrène lentement alors que je traverse l’île du Havre aux Maisons, dont le décor ponctué de falaises de grès rouge, de buttes aux noms évocateurs (Pelées, à
Mounette, etc.) et de maisons colorées qu’on dirait saupoudrées rappelle celui des hautes terres d’Écosse. Puis il se précipite soudainement lorsque je traverse les dunes reliant l’île du Havre aux Maisons à l’île aux Loups et, ensuite, à la Grosse Île. Des deux côtés de la route, des adeptes de planche aérotractée profitent des généreux vents dans les lagunes, des viviers naturels où l’eau est particulièrement chaude et peu profonde.

Je finis ma course à la plage de la Grande Échouerie, à Old-Harry, non sans avoir fait un détour par Grande-Entrée, un hameau de pêcheurs nommé « capitale québécoise du homard » en 1994. Le sable blond de la grève qu’on dirait infinie me convainc d’enlever mes souliers et de me faire ensoleiller (m’étendre au soleil).

Dégolfer des Îles
Avant de dégolfer (partir, s’en aller) des Îles, une ultime sortie s’impose. Pour cette troisième journée, c’est à la découverte de l’île du Cap-­aux-Meules, chef-lieu des Îles, que je pars. Le plaisir de ce parcours vient de sa grande flexibilité : on adapte la boucle sur l’île centrale à sa guise, tantôt afin d’explorer ses villages pittoresques, tantôt pour y dénicher de véritables trésors, dont les bières locales de la microbrasserie À l’abri de la Tempête.

Vérification faite : aux Îles, les boissons alcoolisées ne sont pas pareilles. Comme tout le reste d’ailleurs.

« Tu ne peux pas sortir les Îles du gars » — Hugo Barrette

Vélo Mag s’est entretenu avec Hugo Barrette, le deuxième Madelinot à avoir participé aux Jeux olympiques. Et un des rares pistards venus du large.
Hugo Barrette se souvient de sa première « course » de vélo, en 2007 : Les Îles à vélo. Au guidon d’un vieux vélo jaune tout rouillé, l’adolescent alors âgé de 15 ans a fait la barbe à des adultes pourtant mieux équipés et mieux entraînés que lui. « J’ai attendu de voir la ligne d’arrivée, à Grande-Entrée, j’ai sprinté et j’ai gagné. C’était un beau moment », raconte le Madelinot de 25 ans.

Arrivé au vélo de route l’année précédente un peu par hasard, il est rapidement devenu un grand accro du « sentiment de liberté incroyable » qui caractérise le sport cycliste. « J’étais attiré par le silence qui règne lorsqu’on pédale aux Îles, par le vent atroce qui y forme le caractère, par le sentiment de bout du monde qu’on ressent en faisant le tour de la montagne, à Havre-Aubert », énumère le pistard qui se faisait un point d’honneur de rouler, « qu’il vente ou non ».

Forcé très tôt dans son parcours de quitter l’archipel pour le continent, l’athlète originaire de Cap-aux-Meules tient à y revenir, lorsque son agenda le permet. « J’y retourne en mai prochain donner une série de conférences dans les écoles. J’ai hâte. Tu peux sortir le gars des Îles, mais pas les Îles du gars. »

Repères

Les routes : La route 199, qui sillonne l’archipel d’ouest en est, est globalement en bon état. Par contre, les routes secondaires font parfois pitié. La raison : la ronde constante du gel et du dégel qui caractérise le climat maritime des Îles tout au long de la saison froide.
Les boutiques : Le Pédalier et Véli-Vélo. Elles sont toutes deux situées à Cap-aux-Meules.
Le climat : L’été aux Îles est sans canicule, et le temps doux et généralement ensoleillé se poursuit jusqu’à la fin de septembre. On prévoit tout de même le nécessaire pour rouler à la fraîcheur.
Le transport : En voiture, on compte environ dix-huit heures à partir de Montréal, incluant la traverse de cinq heures à partir de Souris, à l’Île-du-Prince-Édouard, à bord du N.M. Madeleine. On a également la possibilité de s’y rendre par avion ou en croisière.
Le relief : Il n’y a pas de sommets, aux Îles, juste des buttes. Par contre, leur montée devient rapidement sportive, vu qu’on a le vent dans le pif.

Les frais de voyage ont été assumés par Croisières CTMA.

 

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