On dit des routes qui bordent le fjord du Saguenay qu’elles sont parmi les plus difficiles à rouler au Québec. Vélo Mag est allé le vérifier à l’occasion de la 10e édition des Cols du Fjord.
Impossible de parler de la randonnée cycliste des Cols du Fjord sans chanter les louanges de son fondateur, Pierre Lavoie. La petite histoire veut que le plus illustre des Saguenéens l’ait mise en œuvre en 2006 afin de démontrer que son terrain de jeu des rives nord et sud de la rivière Saguenay est fait pour être pédalé. Aux dires de l’homme de fer multirécidiviste, ce qui allait plus tard devenir la Véloroute du fjord du Saguenay «présente un dénivelé relevé pour des cyclistes qui aiment la montagne, comme en Europe». Dans tout le Québec, il s’agit du parcours le plus près des goûts des habitants du Vieux Continent, soutient-il. C’est ce qu’on appelle placer la barre haute.
Depuis, Pierre Lavoie a délaissé l’organisation des Cols du Fjord afin de se consacrer au développement de ses autres activités. En 2014, Éric Larouche et Philippe Gagnon, de l’organisme à but non lucratif Événements Saguenay–LacSaint-Jean, ont pris le relais et offert une version remaniée de la randonnée. Pour sa 10e édition, qui a eu lieu du 5 au 7 août dernier, les participants étaient conviés à un gueuleton de 350 km autour du fjord du Saguenay, dont 95% de la chaussée est dotée d’un accotement asphalté. Selon les largesses de votre altimètre, le dénivelé positif tourne autour de 4500 m. L’équivalent, si vous voulez, de quatre fois la mythique montée de L’Alpe d’Huez, en France.
Bémol
Pour les puristes de la pédale (dont je suis), un bémol s’impose toutefois. Voyez-vous, c’est un malheureux mélange des genres que de qualifier les côtes qui ceinturent le fjord de « cols». Enlevez-vous tout de suite de l’idée ces longues montées terribles de 15 à 40 km où l’histoire des grands tours s’est écrite à coups d’explications musclées; on parle plutôt de quelques bosses de catégories 3 à 5, longues d’à peine quelques kilomètres, et jamais bien hautes. Bref, on devrait les appeler Les Talus du Fjord, même si ça sonne moins bien.
Les véritables difficultés, c’est paradoxalement entre les côtes catégorisées qu’elles se trouvent. Rares sont les bouts plats au pays du Saguenay : on est toujours en train de grimper! Un conseil, d’ailleurs: prévoyez des pignons synonymes de petits développements, vos gambettes vous remercieront. Ajoutez à l’équation les inévitables soubresauts de dame Nature, et vous obtenez un défi considérable. Tenez: pendant la première journée entre l’arrondissement Chicoutimi de Saguenay et L’Anse-Saint-Jean, 90 km plus loin, la soixantaine de participants seront gratifiés d’une température d’été torride. De quoi se liquéfier sur place.
Options
Fait intéressant: 98% des participants proviennent de l’extérieur du Saguenay–Lac-SaintJean, soutient l’organisation des Cols du Fjord. Dans le lot, des cyclistes de tous les âges, de toutes les capacités et de tous les niveaux, ce qui garantit à tout un chacun de trouver des roues à suivre en tout temps au cours de l’aventure. Chacun est d’ailleurs invité à rouler à sa vitesse, dans la plus pure tradition d’une randonnée cycliste. Dès le coup de départ, je me greffe à un père et son fils de 16 ans, Bruno et Victor Marchand, de bons rouleurs avec qui je passerai plusieurs heures dans les prochains jours.
Dans le lot, des cyclistes de tous les âges, de toutes les capacités et de tous les niveaux, ce qui garantit à tout un chacun de trouver des roues à suivre en tout temps au cours de l’aventure.
Premier arrêt: le chemin des Battures, communément appelé le vieux chemin de SaintFélix-d’Otis, ou l’option 1. C’est là une des particularités des Cols du Fjord: une multitude de trajets facultatifs permettent d’ajouter çà et là du kilométrage et du dénivelé à l’aventure, et ce, tout au long de la fin de semaine. Et surtout, c’est une superbe manière de contempler le fjord, cette véritable carte postale panoramique. L’incontournable en cette première journée est le belvédère de l’Anse-de-Tabatière, seul point de vue surplombant le cours d’eau accessible à vélo, et valant amplement le jus de mollet nécessaire pour y grimper.
Poussette
Dès que nous posons pied à terre au pied du mont Édouard, à L’Anse-Saint-Jean, nous sommes pris en charge par l’organisation. Nos bagages étant déjà transportés à nos chambres, nous n’avons qu’à nous asseoir, boire un verre de lait au chocolat et jaser de nos faits d’armes. « Pis, comment ça s’est passé ? » devient une formule qu’on répète mille et une fois. L’atmosphère est positive, l’énergie contagieuse. Plus tard, autour des grignotines à volonté, des breuvages alcoolisés ou non et du souper gourmand, les langues se délient encore davantage. Il faut dire qu’on mange très bien lors des Cols du Fjord. Même les points de ravitaillement, situés tous les 40 km environ, sont très bien garnis.
Au fil de la fin de semaine, je fais plus ample connaissance avec quelques participants. J’apprends que certains sont des quasi-abonnés aux Cols du Fjord. C’est notamment le cas d’André Côté, un policier à la retraite prolixe et bien sympathique qui prend part à tous les rendez-vous sportifs du Saguenay–Lac-Saint-Jean, que ce soit sur deux roues, sur deux skis ou sur un lac gelé. Il y a aussi ceux pour qui la randonnée est une activité de couple… ou entre frère et sœur. Chers lecteurs, j’ai vu un chic type littéralement pousser (!) sa sœurette dans les nombreuses côtes des environs. Il paraît que ça demande de pousser bien des watts, surtout pendant trois jours consécutifs…
Grosses cuisses
D’autant plus que les deux journées suivantes ne sont pas piquées des vers. Le samedi, sur les 115 km entre L’Anse-Saint-Jean et Tadoussac, le vent et la pluie se mettent de la partie. Par moments, nous nous croyons sur le bord de la mer de Norvège, trémas en moins dans les noms de village! Le lendemain, nous recommençons pour 130 km entre Tadoussac et l’arrondissement Chicoutimi de Saguenay, mais cette fois-ci avec une baisse soudaine des températures après quelques kilomètres seulement. Dès lors, je décide de prendre la poudre d’escampette pour un effort solitaire de 100 km au creux de la vallée glaciaire de la rivière Sainte-Marguerite. Mon objectif: générer (et préserver) ma chaleur.
À l’arrière, on me rapporte que tout le monde « a les grosses cuisses» et que plusieurs sont « toastés». Des épisodes de grêle viendront à bout de la motivation d’un bon nombre. Les limites ressortent, même si plus rien n’y paraît à l’arrivée. Au contraire: les félicitations fusent de toute part, gommant toute trace de face longue. Dont la mienne.
Le journaliste était l’invité des Cols du Fjord.