Pour découvrir la riche histoire des chemins Craig et Gosford, à la frontière des régions de Chaudière- Appalaches et du Centre-du- Québec, rien de mieux qu’une virée à vélo sur cette ancienne route de diligence. Au menu : une boucle de 120 km, sur un parcours bitumé, au départ de Saint-Gilles de Lotbinière.
Le chemin Craig est à l’image de son ordonnateur, James Henry Craig, lieutenant-gouverneur de ce qui était alors le Bas-Canada, entre 1807 et 1811 : teigneux à souhait. On en prend la pleine mesure une fois la rivière Filkars enjambée, à la hauteur de Saint-Patrice-de-Beaurivage. La route 269, qui devient peu après la 216, cesse de courir le long des flots paisibles de la Beaurivage et bifurque plutôt vers les Appalaches. La suite est prévisible : une série de montagnes russes, tout en montées rudes et en descentes vertigineuses, débute quelques minutes plus tard. Il faut savoir jouer du dérailleur.
L’affaire se complique lors de l’ascension jusqu’à l’observatoire Craig, perché à 468 m. De Kinnear’s Mills, qu’il nous démange de rebaptiser « Kinnear’s Churches » – pas moins de quatre églises de différentes confessions forment le coeur du village –, il faut grimper pendant environ 5,5 km pour se hisser jusqu’au sommet. L’effort en vaut néanmoins la peine ; une vue incroyable sur les collines verdoyantes des environs s’y déploie, avec à la clé des panneaux d’interprétation sur l’histoire du chemin Craig, une importante voie de colonisation vers les Cantons-de-l’Est au XIXe siècle.
À l’époque, les colons anglo-saxons ne pouvaient accéder aux terres inhabitées des townships qui leur étaient destinées à partir de Québec. Aux yeux de James Henry Craig, c’était inacceptable. Sanguin, ce militaire de descendance écossaise – il a combattu lors de la guerre d’Indépendance des États-Unis et a repoussé l’invasion du Canada par les Américains – est déterminé à assimiler les Canadiens français. Pour ce faire, il juge nécessaire un lien reliant la capitale à la frontière avec la toute jeune union, d’où affluent en masse les sujets demeurés loyaux à l’Empire, les loyalistes.
« Environ 225 000 personnes peuplent le Bas-Canada au début des années 1800, dont seulement 25 000 anglophones. Avec la construction de ce chemin, Craig veut renverser le rapport de force avec la majorité francophone et briser ses aspirations démocratiques et nationalistes », raconte, avec un léger accent anglais, Steve Cameron, cofondateur de la Société du Patrimoine Coirneal Cealteach. Les plans du gouverneur sont cependant freinés par la Chambre d’assemblée, dominée par le Parti canadien, qui répugne l’autorité britannique. Malgré deux dissolutions de la chambre basse, rien n’y fait : le chemin demeure à l’état de projet.
En 1810, c’en est assez : Craig use de son pouvoir absolu pour mener à bien son projet. Il dépêche près de 200 soldats de la Garnison de Québec pour ouvrir « un chemin depuis Saint-Gilles à travers les townships de Leeds, Inverness, Halifax, Chester, Tingwick jusqu’à Shipton sur la rivière Saint-François », lit-on dans la Gazette du Québec du 2 août 1810.
Un projet qui tourne au désastre
Le chemin, long de 75 miles, est complété en trois mois seulement. L’exploit est considérable ; il comprend entre autres 120 ponts pour franchir les nombreux marécages de la région. « On appelait alors ce coin “The Wasteland”. Seuls les Abénaquis le fréquentaient de manière saisonnière », souligne Steve Cameron. Dès la fin de 1810, un service de diligence est organisé entre Québec et Boston, en passant par Stanstead. C’est d’ailleurs cette porte d’entrée qu’a choisie la Corporation des chemins Craig et Gosford pour mettre sur pied un rallye historique agrémenté d’une baladodiffusion et ponctué d’arrêts dans les divers attraits et sites patrimoniaux qui jalonnent le circuit.
Dans les faits, la ligne Québec-Stanstead-Boston sera un désastre. Pour le comprendre, il suffit de dévaler l’observatoire Craig sur deux roues, en direction ouest. En ne touchant pas les freins, on peut aisément frôler les 100 km/h – on ne vous le recommande évidemment pas. Imaginez une carriole tirée par des chevaux… Autre exemple : dans l’arrière-pays de Victoriaville, où on trouve encore des segments (en garnotte) du chemin Craig, le dénivelé conséquent met le feu aux jarrets même les plus affûtés. Ce n’est pas pour rien que la Classique des Appalaches fait de ces routes son terrain de jeu.
« Finalement, peu de diligences l’empruntent, et les quelques colons qui s’y risquent reprochent son manque d’entretien flagrant. Le tracé avait manifestement été mal pensé », avance Steve Cameron. Le coup de grâce du chemin si cher à James Henry Craig survient en 1812, peu après le décès du principal intéressé. Les États-Unis déclarent la guerre à la Grande-Bretagne, sur fond de conflits avec la France de Napoléon Bonaparte. Le chemin Craig devient alors une potentielle voie d’invasion rapide, ce qui précipite encore plus son déclin. Si bien qu’à la fermeture des hostilités, en 1815, il est somme toute impraticable.
Le moment ne pourrait être plus mal choisi. À ce moment affluent d’anciens officiers et soldats démobilisés de l’armée britannique, qui ressort de près de quinze ans de conflits avec le Petit Caporal. À ceux-ci se joignent des pionniers d’origine écossaise et irlandaise. « Autour de 1850, toutes les terres des cantons nouvellement ouverts sont occupées. La population du Bas-Canada dépasse alors le million de personnes », indique l’historien amateur, dont les ancêtres irlandais catholiques sont arrivés dans les environs autour de 1820.
De nos jours, il reste encore de nombreuses traces de cette immigration sur le chemin Craig, sous la forme de cimetières anglicans qui bordent les routes et d’une toponymie de circonstance – rivières Palmer et Sunday, municipalité d’Ireland, depuis francisée, église Christ Church, à Saint-Jeande- Brébeuf… Celles-ci se découvrent bien à vélo, surtout pendant la saison des couleurs, alors que les feuilles des nombreux érables des forêts mixtes des Appalaches tournent à l’orangé, au jaune et au rouge. Le chemin Craig est bitumé jusqu’à Saint-Ferdinand, où il rejoint le chemin Gosford.
L’autre voie de colonisation
L’histoire du chemin Gosford est intimement liée à celle du chemin Craig. Du lac William, qu’il borde, il rejoint aussi les rives de la Saint-François à l’ouest, mais en passant par les cantons de Ham et Dudswell. Vers l’est, il longe la rive nord de la rivière Bécancour, traverse les municipalités d’Inverness et de Sainte-Agathe-de-Lotbinière, et renoue avec le tracé du chemin Craig un peu avant d’arriver à Saint-Gilles de Lotbinière, le point d’arrivée et de départ de cette randonnée historico-sportive. L’itinéraire en boucle, long d’environ 120 bornes, peut facilement être écourté.
Dès les premiers coups de pédale sur le chemin Gosford, on comprend mieux sa nature. Le tracé aujourd’hui bitumé se trouve à effleurer les contreforts des Appalaches, ce qui le rend assez plat et roulant. La moyenne horaire prend soudainement du galon, gracieuseté d’Archibald Acheson, alias le comte de Gosford. Ce dernier servit à titre de lieutenant-gouverneur du Bas-Canada et de gouverneur général de l’Amérique du Nord de 1835 à 1838. Son mandat sera teinté des problèmes politiques de l’époque, qui déboucheront par la rébellion des Patriotes, plus que par la construction de ce chemin moins tape-cul que son vis-à-vis.
Rentré en Angleterre, le comte ne verra jamais le parachèvement du chemin nommé en son honneur. Ironiquement, le chemin Gosford deviendra, comme le chemin Craig, un bourbier, faute d’entretien adéquat par les autorités compétentes. Une histoire qui trouve écho dans notre quotidien, où les cônes orange sont monnaie courante aux abords de nos routes en déroute.
CARNET D’ADRESSES
DOMAINE SMALL
Richard Small représente la quatrième génération à exploiter le Domaine Small, à Sainte-Agathe-de-Lotbinière. Son arrièregrand- père Patrick, issu des vagues d’immigration irlandaise du XIXe siècle, y a d’abord pratiqué une agriculture de subsistance. Richard y produit de nos jours du vin biologique, dont un rouge léger et sec avec une longueur en bouche épicée et poivrée, qu’il a judicieusement nommé le Chemin de Craig. Êtes-vous du type blanc ? Tournez-vous alors vers le Gosford, un vin sec aux arômes de pomme verte et de miel. domainesmall.com
MANOIR DU LAC WILLIAM
Le Manoir du lac William, sur les rives du lac éponyme, est le seul établissement hôtelier certifié Bienvenue cyclistes ! sur la boucle de 120 km que forment les chemins Craig et Gosford. Pour l’anecdote : c’est dans ce secteur que les voyageurs en diligence dormaient le premier soir de leur épopée sur la ligne Québec-Stanstead-Boston. manoirdulac.com
PARC DE LA CHUTE SAINTE-AGATHE-DE-LOTBINIÈRE
Vous devez prévoir un arrêt dans ce parc qui met en vedette les abords de la rivière Palmer… et qui n’a rien à envier à d’autres endroits similaires, comme le parc des Cascades, à Rawdon. On aime la formation en palier, la petite plage en contrebas et le pont couvert rouge de type « Town » construit en 1928, qui fait partie intégrante du tracé actuel du chemin Gosford. Idéal pour une pause-repas – on y trouve un restaurant – ou pour y piquer sa tente. Accès payant. lotbiniere.chaudiereappalaches.com/fr
UN PEU D’HISTOIRE
craig-gosford.ca