Malgré votre grande forme physique, vous êtes incapable d’être à la hauteur quand ça compte vraiment. Et si l’origine de ces sous-performances se situait entre vos deux oreilles ?
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Il reste quelques kilomètres à votre sortie dominicale. Votre peloton composé de pistoleros de la pédale s’approche du dernier écueil du jour, une longue côte tortueuse à souhait. Au sein du groupe, la tension est à son paroxysme: c’est à qui déclenchera les hostilités. Ça s’observe. Ça temporise. Puis c’est le feu d’artifice: la première attaque est lancée, la riposte ne tarde pas. Vous vous tenez en embuscade dans les roues, prêt à bondir. Vos jambes sont solides.
Ça y est: vous donnez l’estocade. Bam, bam, bam. En fait, c’est ce que vous croyez. Dans l’intermède qui suit la déflagration, vous sentez un souffle dans votre dos. «Qu’est-ce qu’il fait là, lui?» Votre moral est durement atteint, tout comme votre détermination pourtant inébranlable il y a quelques instants à peine. Paniqué, vous commencez à piocher de manière tout aussi inélégante qu’inefficace pendant que votre tombeur prend le large. À la fin de la randonnée, on vous taquinera en évoquant cette autre sous-performance de votre part.
Christiana Bédard-Thom connaît trop bien ce scénario. Quand elle a commencé à s’entraîner en triathlon il y a quelques années, elle a éprouvé des blocages similaires. «J’avais du mal à réaliser de bonnes performances en compétition. C’était étonnant, parce que ce n’était pas le cas à l’entraînement, où j’arrivais à faire ce dont j’étais capable», se souvient-elle. Curieuse, la jeune femme de Québec se met à lire sur la psychologie sportive. La force mentale la fascine tout particulièrement. «C’est un des concepts les plus utilisés pour expliquer l’excellence sportive. Elle regroupe des habiletés mentales auxquelles les athlètes recourent lors de situations stressantes, comme la confiance en soi, la maîtrise de soi et la fixation d’objectifs», énumère celle qui prépare actuellement une thèse de doctorat sur le sujet.
Un cycliste qui craque en est donc un qui n’a pas su déployer cette combinaison d’habiletés au moment opportun, lorsqu’il le fallait. Pourquoi? Les raisons sont multiples et propres à chaque individu. De manière générale, on constate néanmoins que les sportifs forts mentalement disposent d’un coffre à outils d’habiletés mentales plus garni que la moyenne. «Ils ont adopté des stratégies mentales qui sont appropriées pour relever les défis qu’ils rencontrent dans leur pratique sportive.
Pour un cycliste, ça peut être d’entretenir un discours interne positif alors qu’il fait face à de forts vents», illustre la consultante en préparation mentale.
Heureusement, la force mentale n’est pas qu’innée. Comme un muscle, elle s’exerce et s’améliore à force d’entraînement.
Heureusement, la force mentale n’est pas qu’innée. Comme un muscle, elle s’exerce et s’améliore à force d’entraînement, soulignent plusieurs chercheurs. Qui plus est, elle aurait tendance à fluctuer dans le temps, sur des périodes aussi courtes que quelques semaines. Mais peu importe, la conclusion reste la même: la force mentale concerne tous les cyclistes, du plus grand champion au randonneur du dimanche. «L’excuse “moi, je ne suis pas fort mentalement” est plus ou moins recevable », résume Christiana Bédard-Thom.
ÊTRE HONNÊTE AVEC SOI-MÊME
Nul n’est parfait, pas même un lecteur de Vélo Mag. Blague à part: chaque cycliste possède ses failles. C’est d’ailleurs par l’observation de ces dernières que s’amorce le processus d’amélioration de la force mentale. «On se pose des questions comme: Est-ce que je bute sans arrêt sur des difficultés au cours de mes compétitions? Suis-je victime de certains schèmes de pensée répétitifs ou récurrents?» indique Christiana Bédard-Thom. Le but: s’observer le plus honnêtement possible en vue d’identifier ce qui rend vulnérable et ce qu’on peut optimiser.
DEMEURER POSITIF
C’est inévitable: des points à améliorer émergeront de cette autoévaluation. Mais qu’en est-il des positifs? S’il est important d’être critique envers soi-même – une condition essentielle afin d’apprendre de ses erreurs –, on ne gagne rien à verser dans l’autoflagellation. «C’est une question de confiance en soi: être démesurément sévère envers soi-même risque de susciter un sentiment d’échec», met en garde l’experte. Rester positif implique de ponctuer son discours interne de mantras constructifs («j’apprends») plutôt que défaitistes («je l’ai échappée»).
EMBRASSER L’ADVERSITÉ
C’est en s’exposant sur une base régulière à l’adversité qu’on perfectionne les habiletés mentales pour l’affronter. Au bout d’un certain moment, ce qui était inconfortable le devient considérablement moins. Pousser malgré la fatigue, filer à vive allure sur une chaussée mouillée, gérer une fringale? Pas de problème.
«À l’entraînement, ce n’est pas le temps de s’enfermer dans un cocon, au contraire. Il faut plonger dans des situations pénibles qui forcent à repousser les limites et à sortir de sa zone de confort», insiste-t-elle. En un mot comme en mille: on doit délibérément se mettre en danger.
APPRIVOISER LA DOULEUR
Les cyclistes doivent arriver à s’infliger des niveaux élevés de douleur: c’est dans la nature même du sport de haut niveau! Comme toute relation, celle qu’il entretient avec ses jambes qui brûlent, ses battements de cœur qui s’accélèrent et ses bronches qui créent un goût de papier sablé dans la bouche peut être améliorée. À ce chapitre, il n’y a pas de secret: il importe de fréquenter régulièrement ces zones de grand inconfort. «On acquiert ainsi les habiletés mentales qui font qu’on se sent en maîtrise de la situation, comme apprendre à relaxer, relativiser ses sensations et recentrer son attention ailleurs», dit Christiana Bédard-Thom. Après tout, a douleur n’est qu’un influx nerveux.
SE LAISSER DU TEMPS
Développer sa force mentale ne se fait pas du jour au lendemain. «C’est un processus qui demande du temps et de la pratique», signale Christiana Bédard-Thom. En ce sens, l’adversité nécessaire à son développement est une variable d’entraînement aussi déterminante que le sont par exemple le volume, l’intensité et la densité. On devrait donc en tenir compte dans la planification de ses séances, de ses semaines et de ses saisons. Attention cependant à demeurer spécifique au sport cycliste: rien ne prépare mieux à rouler sous la pluie que… de rouler sous la pluie. Froide, de préférence.