On dit parfois que l’entraînement relève de l’art autant que de la science. Cela est particulièrement vrai pour le cycliste autonome.
Je n’ai jamais eu de coach. Personne ne m’a jamais pris par la main pour me montrer comment m’entraîner ; je l’ai appris seul, en bon autodidacte de la VO2 max. J’ai dévoré des dizaines de bouquins, des centaines d’études et plusieurs milliers d’articles de revues spécialisées (dont Vélo Mag) à ce sujet. Cette passion pour la performance m’a poussé à étudier en kinésiologie, et ce, pour le simple plaisir de la chose – mon diplôme prend la poussière au profit de celui de pousse-crayon. Aujourd’hui, je parle couramment le Watt (mesure de puissance), le TSS (training stress score) et le MET (mesure de l’intensité d’une activité physique). Je suis un polyglotte de la périodisation, un bohème de la lactatémie, un fanatique de Borg et de sa fameuse échelle de perception de l’effort.
Au fil des ans, ma quête de l’effort juste, parfait, a été ponctuée de nombreux obstacles. Disons-le carrément: j’ai commis toutes les erreurs possibles et inimaginables du cycliste autonome. Comme celle de ne jamais m’accorder de journées de repos, de peur de perdre ma précieuse forme physique. Ou de toujours rouler aux mêmes (basses) intensités, me condamnant ainsi à devenir un diesel, ce surnom peu affectueux qu’on donne à ceux qui boucanent quand ça se corse. Couper les carbs au profit d’aliments riches en gras, maigrir exagérément dans le but de maximiser mon rapport puissance-poids, tenter d’imiter ce que font les pros… Pensez à un piège, et je suis sûrement tombé dedans.
Stéphane Le Beau connaît bien les types dans mon genre. Ce cycliste dans la jeune soixantaine en a vu défiler plusieurs durant sa carrière d’entraîneur. «Je donne régulièrement des trucs et des conseils à des gens qui s’entraînent par eux-mêmes, ce qui est le lot de la majorité. Je trouve ça fantastique: c’est mieux de faire quelque chose par ses propres moyens, même si ce n’est pas parfait, que de se croiser les bras», pense le propriétaire de S.LeBeau Coaching. L’autonomisation est centrale dans sa philosophie. «J’ai collaboré pendant quelques saisons avec le coureur québécois Steve Rover, dans les années 1990. Lorsqu’il a fait le saut en Europe, il possédait le savoir-faire pour se débrouiller», se souvient-il.
Avec la démocratisation des capteurs de puissance et autres bases d’entraînement intelligentes, il n’a jamais été aussi facile de s’entraîner sans entraîneur. Un petit test d’effort de 20 minutes réalisé dans le confort de son salon et, hop!, vous voilà prêt à suivre le programme généré automatiquement par les Zwift de ce monde, ou encore celui que vous avez déniché dans la dernière bible de l’entraînement à la mode. Vraiment? «La clé d’une bonne préparation physique sera toujours la personnalisation. Il faut savoir adapter le contenu des séances qui nous sont proposées de façon à pouvoir progresser», explique Stéphane Le Beau. Autrement dit, il faut mettre son chapeau de coach. On n’y échappe pas.
Les mauvaises langues diront que le risque de se tromper est énorme, que la contre-performance se tient là, en embuscade, sur la route vers l’objectif cible. Et ils ont bien raison: j’ai perdu le compte de mes déceptions sportives, petites et grandes. Mais je ne suis pas devenu un cycliste aigri pour autant. Parce que, pour 10, 20, 30 occasions ratées, il y a toujours un rendez-vous avec la meilleure version de soi-même qui se concrétise. Les planètes s’alignent, les jambes baignent dans l’huile, rien ni personne ne vous freine. C’est la magie du jour avec, privilège de l’athlète, un moment d’autant plus impérial que vous ne le devez qu’à une seule personne: vous-même. Croyez-moi, c’est grisant.
Ne tombez pas dans ces 5 pièges :
1. Plus, c’est mieux. Quelques heures supplémentaires de selle par-ci, une sortie bonus avec les potes par-là… Quand on s’entraîne par soi-même, la tentation d’en faire toujours plus est forte. Pourtant, le repos est essentiel pour absorber les charges d’entraînement et s’améliorer. Stéphane Le Beau dispose d’un truc infaillible permettant de déterminer si on devrait ou non lever la pédale. «Si tu te poses la question, dans la vaste majorité des cas, c’est que tu en as besoin. Il faut savoir s’écouter», indique-t-il.
2. Si les autres le font… Grâce à des applications comme Strava, il est plus facile que jamais d’épier son prochain. Que ce soit le nombre de bornes avalées par votre rival la semaine dernière, ou la séance d’intervalles dantesque abattue par un coureur professionnel qui évolue dans le Word Tour, tout est disponible en un clic. Seul problème: ces renseignements ne vous sont d’aucune utilité. «On ne gagne rien à se comparer aux autres ou à les imiter. C’est un plan parfait pour frapper un mur», soutient Stéphane Le Beau.
3. Des données, plein de données. Variabilité des fréquences cardiaques, durée et qualité du sommeil, puissance moyenne, maximale, sur 1, 5, 20 minutes… L’homo cyclopedus moderne dispose d’une foule de données l’amenant à décortiquer le moindre tour de manivelle. Stéphane Le Beau doute pourtant qu’il en ait vraiment besoin. «Il existe un risque bien réel d’y perdre au change, d’être toujours dans la performance jusqu’à devenir dépendant de ces outils», met-il en garde. Vaut mieux développer une connaissance intime de ses propres sensations, puis ajuster le tir avec quelques mesures simples, fiables, dont l’efficacité est éprouvée.
4. Au jour le jour. Improviser son entraînement au gré de son humeur, pire, des occasions qui se présentent à soi, est le meilleur moyen d’aller nulle part. Sans s’enrégimenter dans une discipline spartiate, on gagne néanmoins à structurer au minimum ses semaines, mois et années sportives. Pour ce faire, on tient un journal de bord, puis on fixe une journée durant la semaine afin de planifier les séances à venir. Encore une fois, la modernité joue en votre faveur: des logiciels comme TrainingPeaks permettent d’assurer facilement le suivi de sa forme physique.
5. Voir la vie en gains marginaux. Il y a quelques années, c’était le jus de betterave. Ces temps-ci, les boissons pour sportifs à base de corps cétoniques ont plutôt la cote. Les roues de carbone et les séjours en altitude ont, bien sûr, toujours été tendance ; ce sont des valeurs sûres. Ou pas. La course à l’armement à laquelle se livrent quantité de cyclistes occulte une vérité implacable: pour rouler vite, il faut s’entraîner fort, se reposer, puis recommencer. Aucune paire de bas de compression ne changera cela. «C’est la base, le fondement de toute pratique sportive», conclut Stéphane Le Beau.