Les cyclistes entretiennent une relation amour-haine avec les bosses. Est-ce parce que grimper en danseuse fait peur?
Frédéric Grappe n’est pas seulement le directeur de la performance de l’équipe cycliste professionnelle Groupama-FDJ pour laquelle court le Québécois Antoine Duchesne: il est aussi un prolifique scientifique du sport qui compte plusieurs dizaines de publications à son actif. Dans l’une de ses plus récentes études, il s’est d’ailleurs intéressé au recours à la position en danseuse en montée. Une technique qui, malgré sa banalité, n’a jamais été véritablement analysée. «La raison est simple: la position en danseuse s’observe mal dans un laboratoire, contrairement à celle assise», souligne-t-il en entrevue avec Vélo Mag.
Afin de combler ce déficit de connaissances, le maître de conférences à l’Université de Franche-Comté a donc recruté treize jeunes coureurs cyclistes de haut niveau gravitant autour de la Groupama-FDJ. Puis il leur a demandé d’enchaîner trois efforts consécutifs dans une même montée de 3 km pourvue d’un dénivelé moyen de 7%. En sus d’un capteur de puissance, tous étaient munis d’un analyseur métabolique portatif, appareil servant à «lire» en temps réel les échanges gazeux. La seule consigne précisée: réaliser le meilleur chrono possible. « Nous leur avons donné carte blanche», dit Frédéric Grappe.
Bien grimper debout n’est pas donné à tous, tant s’en faut. Pour chaque Alberto Contador, véritable monstre de fluidité en danseuse, il existe un Jan Ullrich incapable de se lever de sa selle tant il est crispé.
Préserver sa vitesse
Ce qui est sûr, c’est que les participants n’ont pas chômé. En moyenne, ils ont réalisé des chronos d’un peu moins de 6 min à 94% de leur capacité aérobie maximale, «des efforts quasi maximaux», aux dires du chercheur. Les coureurs ont en outre préféré la position assise à celle en danseuse pour monter le talus – ils ont été debout seulement 22,4% du temps, soit pendant un peu plus d’une minute au total. «C’était attendu: on grimpe majoritairement assis, après tout, à part si la côte est très courte», spécifie Frédéric Grappe.
La véritable surprise vient de la manière dont les cyclistes ont réparti leurs efforts assis et en danseuse. En gros, les athlètes ont choisi leur position en se fiant à leur vitesse. Pas (ou si peu) à la puissance affichée sur leur ordinateur de bord, qui était par ailleurs plus élevée d’une quarantaine de watts en danseuse. «Ils ont intégré un paquet de variables comme la puissance, certes, mais aussi la perception de leur effort, le profil du terrain et le déroulement de la course, afin de générer la vitesse de déplacement la plus constante possible autant en danseuse qu’assis», explique le scientifique.
Tout sauf naturel
Chose certaine, les cyclistes gagnent à alterner entre ces deux positions plutôt que de jeter leur dévolu sur une seule. Même si elle est mécaniquement et aérodynamiquement désavantageuse, la position en danseuse sollicite d’autres chaînes musculaires que celles normalement utilisées pour pédaler en position assise, soulageant ces dernières du même coup. En outre, les muscles recrutés dans les deux positions ne le sont pas de la même manière, puisque les niveaux de contraction et de tension diffèrent grandement. Autrement dit: la position en danseuse permet de «se reposer» d’être assis sur sa selle, et vice versa.
Seul problème: bien grimper debout n’est pas donné à tous, tant s’en faut. Pour chaque Alberto Contador, véritable monstre de fluidité en danseuse, il existe un Jan Ullrich incapable de se lever de sa selle tant il est crispé – Pierre Foglia ne disait-il pas qu’il «monte assis. Pas un tressaillement. Le haut du corps comme pris dans un corset»? Plusieurs facteurs, de la morphologie à la typologie musculaire en passant par le poids, expliquent ces différences. Même le pourcentage de pente joue dans le portrait – on ne grimpe pas pareil dans du 5% ou du 20%, faut-il le préciser.
Ça se travaille
Heureusement, la position en danseuse peut être améliorée, soutient Frédéric Grappe. Il suffit de l’intégrer délibérément aux séances d’entraînement en côtes, au gré des profils de celles-ci. Attention: en danseuse, c’est autant le cycliste que le vélo qui balance de gauche à droite. Pour amorcer le mouvement, on se tient très droit sur le vélo, les épaules presque au niveau de l’axe de la roue avant.
L’idéal, insiste-t-il, est de se filmer afin d’avoir une rétroaction visuelle du geste technique, puis de le travailler en fonction de ses observations. «Il y a tout un éventail de possibilités à explorer du côté des tapis roulants réservés aux cyclistes, qu’on commence à voir arriver sur le marché. Couplés à un œil d’expert, ils pourraient permettre d’améliorer considérablement sa position en danseuse», pense-t-il.