– Très bien, veuillez vous allonger ici.
– Oh, un beau récamier! Les psys utilisent encore ces divans?
– Seulement pour les cas graves. Alors, dites-moi ce qui provoque votre colère.
– Plein d’affaires, on dirait que tout m’agresse. La pollution, la surconsommation, la technologie…
– La technologie? Elle est là pour nous simplifier la vie.
– Non, justement! On dirait que plus ça se raffine, plus c’est compliqué. Prenez les pneus de vélos. Le pneu sans chambre à air est génial, mais avec l’arrivée des roues de 29 po, il devient trop lourd, et on le remplace par du tubeless ready, un pneu en peau de pet qui demande l’ajout de latex scellant. Ma blonde me demande à tout bout de champ d’installer de nouveaux pneus sur ses roues de carbone. On dirait que personne n’arrive à respecter un diamètre précis. C’est toujours soit trop lousse, soit trop serré. J’ai même dû acheter un compresseur juste pour ça.
– Ne serait-il pas plus simple d’utiliser les équipements d’une boutique?
– Oui, mais j’ai plus le droit… L’autre jour, je gonflais un pneu dans l’atelier de la boutique Le Pédalier. J’ai gonflé un peu trop. Le pneu a déjanté dans un incroyable BANG! Les mécanos autour sont restés figés, les oreilles bouchées, des millions de gouttelettes de latex couvrant nos visages, les murs et la vitrine. Depuis ce jour-là, quand j’arrive avec une roue à la main, ils courent aux abris et verrouillent l’atelier.
– Hmm, je vois. Et vous avez d’autres frustrations?
– La radio! Nos stations de «radio d’opinion», à Québec, dressent les automobilistes contre les cyclistes. Au lieu d’user de leur influence pour encourager le partage de la route, les animateurs convainquent leurs auditeurs que les routes appartiennent exclusivement aux autos. La campagne «Let’s honk a cyclist» menée l’an dernier par Radio X porte encore ses fruits. On se fait klaxonner et crier toujours les mêmes insultes: «Débarquez du chemin! Vous payez pas de taxes! etc.» Encore cette semaine, au FM 93, le facho de service le midi a sorti ce préjugé. Comme si les cyclistes ne payaient pas de taxes!
– Mais les immatriculations et le permis de conduire?
– Les cyclistes les payent aussi ! Selon Vélo Québec, 90% des cyclistes adultes possèdent ou partagent une voiture. À part ça, pensez-vous que ça ne me fait pas suer, moi, de financer avec mes impôts le système de santé qui soigne tous ces automobilistes sédentaires fumeurs? Ils devraient être heureux de me voir à vélo sur la route, je désengorge à la fois les routes et les hôpitaux!
– Quand vous vous faites klaxonner comme ça, arrivez-vous à contrôler votre colère?
– Avec le temps, on apprend à se contrôler. Plus jeune, je dégainais le doigt plus rapidement. Comme une fois, en cyclotourisme à Terre-Neuve. Une voiture remplie de jeunes sur le party nous avait frôlés. Je leur avais fait signe qu’ils étaient malades dans la tête… sans penser qu’on était sur une route dans le bois. Un peu plus loin, les cinq gars nous attendaient debout dans le chemin. Gulp ! comme dirait ma fille qui lit des BD. Heureusement, ils nous avaient laissés passer. Cet été, je n’ai pas pu m’empêcher de donner une grande tape en passant sur le côté d’une Beretta immobilisée en plein milieu de la piste cyclable alors qu’il y avait un stationnement à côté. L’auto a décollé sur les chapeaux de roues pour venir me couper le passage. Le conducteur a débarqué. Il était bâti comme Hugo Girard, avec des biceps plus gros que mes cuisses! «Arrive icitte, mon tabarnak!» a-t-il crié en courant vers moi. J’ai répondu en me sauvant: «Es-tu fou? Amanché comme t’es, tu vas me tuer!» J’étais resté sur le gros plateau, ça m’a pris cinq ou six coups de pédale avant de prendre de la vitesse. J’ai senti sa main frôler mon dos quand il a plongé pour m’attraper.
– Un événement récent vous a incité à consulter?
– Ryder Hesjedal! C’est lui qui m’a fait décompenser! Quand je vois sa face dans les publicités, la moutarde me monte au nez. Qu’il se soit dopé et ait volé la place de gars honnêtes aux Olympiques, sur les programmes de bourses et tout ça, ça me choque déjà, mais quand il fait des aveux uniquement parce qu’il est obligé et qu’il veut nous faire croire qu’il a gagné le Tour d’Italie à l’eau claire, ça dépasse les bornes. Et le monde du cyclisme qui continue de l’aduler comme si de rien n’était…
– Remontons à votre tendre enfance. Avez-vous toujours été plein d’amertume?
– Pas vraiment. Sauf un jour, lors d’une sortie de classe en secondaire 3, on avait fait une «épluchette de caractère». On avait dit de moi que j’étais susceptible. Hé que ça m’avait fâché! «Susceptible, MOI? Jamais!»
– Et dans les sports?
– Dans la ligue de hockey où je jouais, six minutes ou plus de pénalité entraînaient une suspension. Je ne terminais pas beaucoup de matchs. Au soccer, j’aurais pu tapisser les murs de la maison en jaune ou rouge si j’avais gardé tous les petits cartons qu’on m’a décernés. C’est pour ça que je fais du vélo de montagne maintenant.
– Est-ce aussi pour cette raison que votre page de magazine s’intitule Humeur?
– Ouais, avant, ça s’appelait Drôle de moineau. Y a-t-il une cure, docteur?
– Vous savez, nous sommes au mois de novembre, et je vois beaucoup de cyclistes dépressifs. Les jours raccourcissent, et la météo compromet votre routine d’entraînement. Depuis combien de jours n’avez-vous pas fait d’exercice?
– Heu, genre une semaine.
– Voilà le problème! Et comme solution, je vous prescris l’achat d’un fat bike pour rouler dehors tout l’hiver. En attendant, vous allez sortir votre vélo stationnaire et me faire un échauffement de deux heures, suivi de trois fois six intervalles d’une minute à 100% de la PAM.