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Photo: Rapha
L’industrie cycliste connait à la fois un âge d’or et un moment de vérité: saura-t-elle apprendre de (et survivre à) la crise qu’elle traverse présentement? La nouvelle PDG de Rapha a quelques bonnes pistes à proposer. Je les suis ici de manière quelque peu hasardeuse.
J’ai récemment écrit à propos de l’importance de Rapha dans la culture cycliste au cours des dernières années.
Il y a clairement un avant et un après Rapha. Et cet après, nous le voyons, a considérablement transformé le sport, en particulier son esthétique.
Plusieurs autres entreprises ont repris le lexique et l’esprit de la marque britannique fondée par Simon Mottram il y a 20 ans.
Pensez à Pas Normal Studios, MAAP, Isadore, Attaquer, RUBBER N’ROAD, Le Col, Café du cycliste, Velocio…
Toutes ont en commun de célébrer la culture du sport, de valoriser la communauté et l’expérience, pour la plupart elles fondent aussi leur marque sur des valeurs de durabilité et de travail équitable.
Nous vivons un âge d’or en matière d’offre pour tout ce qui concerne notre sport. Paradoxalement, plusieurs grandes marques tanguent en ce moment au bord du précipice.
La grande déflation des marques
Si je parle précisément de Rapha en début de texte, c’est que j’ai écouté avec beaucoup d’attention et d’intérêt l’entrevue de la nouvelle PDG de la marque chez Escape Collective (je crois que vous devez être abonnés pour l’écouter : ça vaut la peine!).
Son CV est éloquent et elle connait le sport à fond. En plus d’être la sœur de David Millar, Fran Millar a été l’agente de plusieurs des plus grands cyclistes professionnels contemporains (pensez Cavendish, Geraint Thomas, entre autres), elle a fondé et dirigé Team Sky avec Dave Brailsford, opéré la transition vers Ineos-Grenadiers, raflé en route une demi-douzaine de victoires au Tour de France avec cette équipe, puis a rescapé une marque de vêtements centenaire détenue par le proprio d’Ineos, le pétro-milliardaire Jim Ratcliff : Belstaff.
Bref, quand elle parle, on l’écoute. D’autant que la marque dont elle hérite, Rapha, est en mauvaise posture financière. Fran Millar arrive à nouveau à la rescousse.
Tout m’intéresse dans ce dont elle parle : l’essence des marques, leur rôle, et en particulier celui de Rapha qui était de « faire du vélo le sport le plus populaire du monde ». Quand je parle d’un « après Rapha », on y est aussi de ce point de vue-là. Le sport a explosé, il est populaire dans tous les groupes d’âge. Il n’est plus qu’un jeu ou un moyen de transport, c’est aussi un vecteur d’aventures.
Rapha n’est pas la seule responsable de cet état des lieux, mais elle et ses consorts ont quelque chose à voir avec le fait que le sport soit redevenu cool.
Mais ce dont nous prévient Fran Millar est aussi un avertissement. On le voit, en ce moment, plusieurs compagnies dans la route et en montagne en arrachent.
Nous vivons encore dans le sillage de mauvaises décisions d’affaires prises pendant la folie de la Covid. Tout le monde a surproduit en croyant que la manne pandémique durerait éternellement. Avec l’inflation, les dépenses de loisirs ont chuté. Et puis on n’allait quand même pas se mettre à acheter des vélos à 10, 12 ou 15 000$ chaque année non plus…
Ce qui nous a mené à une culture de la vente, de la perte. Et de la chute de la valeur des marques qui vient avec ce bazardage constant des vêtements, des accessoires et des vélos eux-mêmes.
Après tout, pourquoi irais-je payer 400$ pour un bib quand je sais qu’il sera à 50% dans deux mois? Et qu’est-ce que cela dit d’une marque si elle est incapable de vendre ses produits au prix affiché, sinon que celui-ci est trop élevé et que sa valeur est donc surévaluée?
Retrouver l’indéfinissable charme
J’ai l’air de partir dans tous les sens, mais ce qui m’intéresse le plus ici, c’est ce dont Millar nous prévient : les jours de cette culture de la solderie arrivent à son terme chez Rapha. « On ne peut pas construire une marque qui connait du succès si on est dans une culture de constante dévaluation du produit », dit-elle.
Je suis assez d’accord. Et pour la petite histoire : vous pouvez trouver ces produits hors de prix. Personne ne vous oblige à les acheter (Rapha, contrairement à d’autres, offre une gamme plus abordable, toutefois).
Je pense qu’il faut créer de la rareté pour justifier ce prix, toutefois. Il faut retrouver l’engouement. C’est ce que Rapha a le défi de faire : renouer avec la coolitude d’antan, que d’autres jeunes pousses sont venues lui ravir.
Et il faut que ces dernières prennent des notes aussi. Rien ni personne n’est éternellement cool. Il faut trouver le moyen d’entrer dans la culture, d’en devenir un acteur. C’est l’autre défi qui attend Rapha : retrouver son esprit fondateur.
C’est aussi ce petit oumpf que quantités de marques « boutique » ou de masse doivent retrouver dans leurs collections plus exclusives. Ne pas nous enfoncer le désir dans la gorge. Mais le faire naître, en nous donnant en retour du sens, de l’esprit communautaire, un tout petit supplément d’âme… un indéfinissable charme.
Parce que si les modèles d’inspiration du sport deviennent ringards, désuets, déconnectés d’avec leur cible, c’est tout l’élan du cyclisme qui sera alors freiné.